vendredi 11 novembre 2011

Cavour et la France : complexité et ambiguïté

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Ce 11 octobre, la section orléanaise de l’Association Guillaume Budé accueille Hilaire Multon, normalien agrégé d’histoire, un temps attaché culturel à Turin, aujourd’hui conseiller du ministre de la Culture et de la Communication, Frédéric Mitterrand, en charge du Patrimoine, des Musées, des Archives, de la Mémoire et de l’Histoire (participation à la préparation de la Maison de l’Histoire). Il est un spécialiste des relations franco-italiennes d’où le choix du sujet suscité aussi par le 150e anniversaire de l’État italien. 

Le conférencier signale tout de suite qu’il n’existe pas encore de grande biographie de Cavour en français (une est tout de même en préparation) malgré la publication des 27 volumes de sa correspondance. Cavour (1810-1861), tout en étant enraciné dans le Piémont, a été fortement influencé par ses racines françaises et par son ouverture à l’Europe connue par ses nombreux voyages. Son père avait suivi une carrière napoléonienne en étant aide de camp du maréchal Berthier et sa mère, arrière-arrière petite-nièce de Saint-François-de-Sales, était d’une famille genevoise, protestante et philanthrope. Par l’une de ses tantes maternelles, il était allié aux Clermont-Tonnerre et par une autre à un fonctionnaire impérial. Son éducation a été toute française et au départ, il ne parlait pas un mot d’italien. Entré à l’Académie militaire de Turin, son esprit indépendant et indiscipliné le conduit à démissionner. Il préfère la carrière de journaliste. Tout jeune, il s’est forgé une armature intellectuelle : il est libéral et royaliste comme son père, ouvert à l’humanitaire comme sa famille maternelle. Mais ses voyages ont beaucoup compté dans son apprentissage. Attiré par le prestige de Paris, Cavour réalise de nombreux séjours en France. Il aime les mondanités, fréquente le Jockey-Club mais rencontre aussi tous ceux qui comptent dans la vie politique et intellectuelle de la Monarchie de Juillet (Michelet, Quinet, Jules Simon, Sainte-Beuve, Dumas, des saints- simoniens). Il assiste aux séances de la Chambre des Députés et de la Chambre des Pairs, manifestant une grande passion pour la vie parlementaire. De même, il s’intéresse beaucoup aux chemins de fer car il pense que pour remplir les objectifs du Risorgimento, la modernisation matérielle doit précéder la révolution politique. Le chemin de fer est donc indispensable à l’unification de l’Italie comme à l’ouverture sur l’Europe en perçant les Alpes. Il va aussi souvent à Londres où il s’initie au modèle anglais et notamment aux questions douanières. 

Devenu en 1852 chef du gouvernement du Piémont, moteur de l’unité italienne, il recherche l’alliance de la France. Par l’engagement de son pays dans la guerre de Crimée, il peut participer au Congrès de Paris où il gagne la confiance de Napoléon III, qu’il a déjà rencontré à Compiègne l’année d’avant. Il entre en amitié avec la famille impériale et notamment avec le docteur Conneau qui devient son intermédiaire auprès d’elle. Il n’est pas exclu qu’il ait usé de la diplomatie parallèle en la personne de la superbe duchesse de Castiglione. Malgré l’hostilité des catholiques français inquiets pour les Etats Pontificaux, l’alliance est scellée par les accords secrets de Plombières. Elle fonctionne bien jusqu’à l’armistice de Villafranca (juillet 1859) qui met fin prématurément aux opérations militaires en Lombardie et ne permet pas d’obtenir des Autrichiens tout ce qui était prévu. C’est la rupture de la francophilie, la rue devient hostile à la France, exhibe les portraits d’Orsini. Le nom de la bataille de Solferino est effacé et Cavour, furieux, démissionne momentanément. L’Italie centrale révoltée qui plébiscite son rattachement au Piémont conduit en compensation à la signature du Traité de Turin (mars 1860) dans lequel la Savoie et Nice sont cédées à la France. C’est un traumatisme car c’est le fief de la famille royale et car ces provinces tiennent la chaîne alpine. Le processus de détachement de l’alliance française est donc déjà fortement entamé. 

En conclusion, le conférencier souligne le tournant des années 1859-1861 dans les relations avec la France. Aussi Cavour est-il peu apprécié dans la France de l’époque. Le Moniteur écrit qu’il n’a été grand que grâce à la France et Veuillot voit en lui l’oppresseur de l’Église. Seuls les Orléanistes et les tenants de la gauche modérée lui portent considération. La reconnaissance de l’œuvre de Cavour viendra à la fin du XIXe siècle mais chez nous c’est surtout Garibaldi qui symbolise l’unité italienne grâce à une légende dorée préparée par la littérature.
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