dimanche 27 mars 2011

Hommage à René Thinat

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Quarante années après l'élection de René Thinat qui fut  maire d'Orléans de 1971 à 1978, la mairie d'Orléans et l'association Les amis de René Thinat lui rendront un hommage samedi prochain 2 avril à partir de 10 h 30, dans l'auditorium du musée des Beaux-Arts que nous connaissons bien. Une table ronde et une exposition (du 2 au 10 avril aux Beaux-Arts) évoqueront son parcours. 

Notre ami Marc Baconnet [Pourquoi écrire un roman aujourd'hui ? (18 mai 1989) et Peut-on parler d'une décadence de la langue française ? (débat) (17 mars 2005)] participera à la table ronde.


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vendredi 25 mars 2011

Un enregistrement de Jacques BOUDET (198O)

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Nous avons retrouvé dans nos archives un enregistrement, vieux de plus de trente ans, d’une conférence de Jacques BOUDET et nous avons pensé que ceux qui l’ont connu aimeraient entendre à nouveau la voix de celui qui a été vice-président de notre association orléanaise depuis sa fondation.

Ce jour-là, le 28 octobre 1980, dans la salle de conférences du centre Charles-Péguy, Jacques Boudet parla de deux Orléanais en procès, Charles Péguy contre Gustave Lanson. Lanson, en effet, a été pendant plusieurs années en butte aux critiques et aux sarcasmes de Péguy : celui-ci ne lui avait pas pardonné d’avoir éreinté le mémoire sur Vigny qu’il avait présenté alors qu’il était jeune normalien. Aussi, pendant plusieurs années, Péguy multiplia-t-il les accusations les plus injustes contre le grand critique. Pourtant Lanson ne lui en a pas tenu pas rigueur, puisque, après la guerre, il ajouta un bel éloge de son compatriote Péguy dans son Histoire de la Littérature française.

Vous pouvez télécharger le fichier mp3 de cette conférence.

Cet enregistrement est aussi accessible depuis la page d'accueil de notre site (cliquer, en bas et à droite, sur "Écouter quelques conférences", puis sur "saisons antérieures").
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jeudi 24 mars 2011

Alain L'HOMER nous a quittés

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"Alain L'Homer était un ingénieur géologue qui a travaillé au BRGM, spécialiste du quaternaire, c'est-à-dire des dépôts les plus récents (alluvions, deltas, baies maritimes). Il a ainsi élaboré les cartes géologiques de la Camargue et de la baie du Mont-Saint-Michel au bord de laquelle il était né. Il avait pour son pays natal un amour très fort qui lui a fait porter un regard attentif et critique sur les projets concernant le Mont. Au sein de l'association de défense où il militait, il avait réussi à faire prendre en compte les changements que son expérience scientifique lui dictait. D'autre part, il menait des actions de mémoire sur d'anciennes activités de la baie. 

Adhérent à Budé, il avait participé au voyage en Angleterre en 2006 et dans le car il avait expliqué toute la genèse et les conditions géologiques du creusement du tunnel sous la Manche. C'était un homme de grande qualité, courtois et distingué."

Gérard LAUVERGEON

Les obsèques d'Alain L'HOMER, décédé mardi dernier, auront lieu lundi 28 mars, à 10 heures à l'église Saint Marc d'Orléans. 

Alain, dans le car du voyage de 2006 en Angleterre, 
parlant du tunnel sous la Manche.
[cliquez sur les photos pour les agrandir]
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mardi 22 mars 2011

Explorer l'incertain par Marie-Claire Bancquart

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Professeur émérite à la Sorbonne, Marie-Claire Bancquart a travaillé particulièrement sur Maupassant, Anatole France, Jules Vallès et les surréalistes. Elle est aussi l’auteur de six romans. Mais, consciente des insuffisances de la prose rhétorique et de la prose romanesque, elle s’est investie essentiellement dans l’écriture poétique. C’est à ce titre qu’elle a été invitée par notre association, dans le cadre des rencontres avec des poètes que nous organisons depuis quelques années. Et Marie-Claire Bancquart a réagi de bonne grâce, et avec un remarquable dynamisme, aux questions que Franck Collin (faculté des Lettres d'Orléans) s’est chargé de lui poser au nom d’un auditoire nombreux et sympathiquement plus juvénile que nos auditoires habituels.


Invitée d’abord à commenter le titre de son dernier ouvrage (Explorer l’incertain) Marie-Claire Bancquart a présenté le langage poétique comme un instrument par lequel nous tentons de dévoiler ce qui reste mystérieux en nous et pour nous, un instrument par lequel nous explorons ce que nous nous sommes pas capables de discerner clairement soit dans notre vie (par exemple un amour naissant), soit dans notre corps (par exemple une maladie sourdement présente).

Plus proche de Plotin que de Platon, Marie-Claire Bancquart dit ne pas faire de différence entre l'âme et le corps, entre le raisonnement et la sensation. Elle perçoit l'univers comme quelque chose de continu dans quoi on doit se placer pour arriver à une véritable sensibilité poétique, permettant de retrouver la qualité même du vivant. D'où, pour elle, l'importance du corps, par lequel nous nous trouvons en communauté et en communication avec l'ensemble du monde vivant. D’où cette "poésie de l’intérieur du corps" et ces "petites choses" extérieures (arbres, bêtes, brins d’herbe ou détails d’une ville) ressenties comme de véritables "puits de mystère" qu’elle soumet à son examen et qu’elle s’efforce de mettre en relation avec l’ensemble de l’univers. Assez proche en cela de Spinoza, Marie-Claire Bancquart dit sentir en elle comme un "appel de l’organisme", un mouvement personnel qui la porte vers un mouvement universel. Sa poésie est une poésie qui s’interroge sur la vie, sur la mort, sur la mémoire, s’efforçant toujours d’aller "au plus profond du puits".

Marie-Claire Bancquart explique cette sensibilité particulière en partie par son enfance qui s'est développée dans la guerre et dans la maladie (victime d'une tuberculose osseuse, elle est restée, dans son enfance, immobilisée dans un plâtre pendant près de cinq années). Avoir la mort en regard lui a permis de donner à la vie ce prix dont beaucoup d'entre nous semblent ne pas avoir conscience.


En revanche, Marie-Claire Bancquart refuse l'idée qu'il y aurait une sensibilité particulière de la femme : lorsqu'elle écrit sur l'amour, la mort, le partage, elle n'a pas l'impression d'écrire "comme une femme". Certes, dans l'ordre ancien, les femmes se trouvaient reléguées au second rôle de muse, de confidente ou d'intendante ; mais les femmes de plume modernes s'affirment "poètes tout simplement", comme cela est apparu lors du 12e Printemps des poètes et dans la sélection de poèmes publiée à cette occasion sous le titre Couleurs Femmes.

Marie-Claire Bancquart revient ensuite sur ce qu’a été sa découverte de la poésie. Comme ce fut le cas pour la plupart des adolescents de sa génération, ses études secondaires ne lui ont présenté aucun poète postérieur à Apollinaire, sinon les "poètes de la Résistance" qui, pour être accessibles au plus grand nombre, pratiquaient une poésie assez traditionnelle, souvent médiocre. Après la guerre, alors qu’on assistait à un inquiétant déclin de la poésie, le structuralisme s’est engouffré dans ce vide, imposant une poésie jouant uniquement sur le langage, une poésie de pure recherche où l'écriture est seule avec l'écriture ; mais cette poésie stérilisée dans l’abstraction ne convenait en rien à la jeune adolescente de dix-huit ans qui a dû son ouverture à la poésie essentiellement à trois poètes : Michaux, Bonnefoy et Frénaud.

S'attardant sur ce dernier, Marie-Claire Bancquart explique pourquoi ses Rois Mages l'ont séduite : ce texte, écrit en 1941, prend certes place parmi les poèmes de la Résistance, mais d’une manière originale, avec une arrière-pensée, car André Frénaud se doutait que, même après la victoire souhaitée, il y aurait de grandes tristesses et de grands dangers; c'est pourquoi ses rois mages, en marchant vers l'Étoile, sentent qu'il vont échouer dans leur mission ; et pourtant quelque chose les pousse, le besoin vital de sentir les autres, la nature et les hommes.

Marie-Claire Bancquart se dit consciente que la véritable poésie, aujourd'hui, continue de susciter une certaine méfiance. Il suffit de rappeler quelle fut la réaction de nombreux enseignants lorsque les Planches courbes de Bonnefoy ont été inscrites au programme de la classe terminale littéraire : ils jugèrent presque impossible de présenter ce recueil à des élèves pour lesquels la poésie n'est qu'évocation d'un objet extérieur ou simple expression lyrique. Cette remarque offre l’occasion à Marie-Claire Bancquart d’insister sur le fait que l'ennemi de la poésie est la facilité, l'épanchement des états d'âme, la "bibine sentimentale", la "dégoulinade des bons et mauvais sentiments" et même la "poésie psychologique". Sans chercher la difficulté ou l'obscurité pour elle-même, elle conçoit la poésie avant tout comme un travail rigoureux sur le texte, sur la langue, sur les mots, sur leur étymologie (n'est-il pas fascinant que le mot "mot" et le mot "muet" se greffent sur une même racine "mu" désignant le son inarticulé ?). Ainsi le langage poétique procède-t-il par décalages volontaires par rapport à la langue commune, ce que Marie-Claire Bancquart appelle des "désobéissances".

Et notre invitée nous donne un exemple de son travail sur le langage avec le mot "énergumène", qu’elle a utilisé dans le titre de son recueil de l’année 2009 (Terre énergumène) : étymologiquement l’énergumène est "celui qui est sous l'influence d'un esprit mauvais" ; c'est aussi, au XIIIe siècle, l'hérétique ; mais, aujourd'hui, on peut appeler ainsi celui qui pense à côté de la pensée admise, celui qui a assez de force, d'énergie, pour donner l'exemple de la liberté de pensée. Et Franck Collin de faire remarquer que tout enseignant, aujourd'hui, se devrait d'être, en ce sens du moins, un énergumène…

Pour nourrir sa poésie, Marie-Claire Bancquart s'efforce de remonter aux origines non seulement des mots, mais aussi des idées et des thèmes. D'où son intérêt pour les mythologies grecque, latine ou chrétienne, où se trouve enfermée toute l'aventure humaine. Elle cite en exemple Virgile et sa sixième églogue, le livre premier des Métamorphoses d'Ovide avec la très belle légende de Phébus qui, devant Daphné métamorphosée en abrisseau, pose sa main sur le tronc et sent le coeur qui palpite encore sous l'écorce (positaque in stipite dextra / sentit adhuc trepidare nouo sub cortice pectus) ; elle cite aussi le dernier livre des mêmes Métamorphoses où s'expose la doctrine pythagoricienne et enfin, dans l'Odyssée, le passage où Ulysse reçoit de Tirésias l'ordre de partir vers l'inconnu, jusqu'à ce qu'il arrive dans une contrée dont les habitants ne sauront pas ce qu'est une rame : c'est cet Ulysse devenu malgré lui explorateur de l'incertain, cet Ulysse image de l’homme jeté malgré lui dans l’aventure de la vie, qui a inspiré aussi Jean-Pierre Siméon dans son Odyssée dernier chant.

Partant du titre Anamorphoses qu’elle a choisi pour l’un de ses recueils (celui de l’année 2002), Marie-Claire Bancquart va préciser encore ses idées sur la poésie. La poésie, dit-elle, c’est un "regard biaisant" que l’on porte sur les choses, de même qu’il faut regarder de biais les Ambassadeurs d’Holbein pour percevoir la tête de mort anamorphosée qui donne tout son sens au tableau. Et, en exemple, elle lit les vers qu’elle a écrits à partir du premier panneau de la Bataille de San Romano par Paolo Uccello, tableau sur lequel elle porte un regard très personnel et dans lequel elle s’autorise – parce que, dit-elle, elle en avait besoin – à introduire un lapin, animal qui, en fait, n’apparaît que dans le troisième panneau de la Bataille, celui qui est conservé à Florence).

Bien que Marie-Claire Bancquart ne se rattache à aucune philosophie, à aucune religion, elle reconnaît que sa poésie est du domaine du sacré par les questions qu'elle pose : vers quoi allons-nous ? qu'est-ce que la mort ? quelle est cette énergie qui traverse l'univers ? L'essentiel, dans ce domaine, est, dit-elle, de ne jamais avoir le sentiment que l'on possède une vérité une fois pour toutes, mais d’être conscient que ces problèmes ne trouveront jamais leur solution, du moins dans notre état de vie actuel.

Une lecture par Marie-Claire Bancquart d’extraits de son poème Babel a clos ces échanges passionnants, auxquels s’est ajoutée pour finir une remarque du mari de notre invitée, le musicien Alain Bancquart, qui a esquissé une comparaison entre le travail d’écriture du poète et le travail du compositeur, soulignant malicieusement combien la composition musicale est plus longue et plus astreignante encore que la composition poétique…

Vous pouvez écouter cette conférence et voir quelques photos de cet événement sur notre site.
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mardi 8 mars 2011

La foule parisienne et ses évènements au XVIII° siècle par Arlette Farge

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Pour cette conférence, notre section orléanaise accueille le 27 janvier 2011 Mme Arlette Farge. Directrice de recherche au CNRS et enseignante à l’EHESS, celle-ci a consacré sa vie à l’histoire des femmes et à l’histoire des classes populaires du XVIII° siècle. Auteur d’une vingtaine de livres (dont le dernier est : « Essai pour une histoire des voix ») et d’un nombre considérable d’articles, participant sur France-Culture à la « Fabrique de l’Histoire », elle a aussi donné au n° 64 de la revue orléanaise Théodore Balmoral un très beau texte dont le président Malissard lit l’extrait concernant le XVIII° siècle.

Arlette Farge nous informe d’abord de sa « façon singulière de travailler ». Proche de Michel Foucault et de Jacques Revel, elle doit aussi beaucoup aux romanciers contemporains comme Pierre Michon et ses « Vies minuscules » ou Pascal Quignard. Ses sources sont avant tout les archives de la police, détenues par les Archives nationales et la Bibliothèque de l’Arsenal. Il s’agit de plaintes devant la justice, d’interrogatoires de police, de témoignages qui concernent de minuscules évènements, des incidents, des petites infractions, des désordres habituels mais pas la grande criminalité. Ce sont donc des gens de peu qui sont venus devant la police pour une rixe ou une plainte ordinaire. Ce type d’archive exige un travail minutieux et un protocole de recherche.

L’historien y est confronté à des êtres de chair que l’histoire n’a pas retenu, à des anonymes qui ont réellement existé. Ils sont présents par des fragments de paroles, des bribes de phrases mais jamais de longs textes, ni d’anecdotes. Ce sont des gens qui se sont heurtés au pouvoir et la lumière sur eux vient du haut. Il faut savoir interpréter en historienne ces archives belles, émouvantes, pathétiques, en triant entre le vraisemblable et l’invraisemblable, entre les mensonges tactiques et la spontanéité franche.

Les foules parisiennes au XVIIIe siècle sont semblables à celles des grandes villes comme Marseille et Lyon et Arlette Farge nous introduit dans l’essentiel de son développement par la lecture d’une description par les odeurs faite par Louis-Sébastien Mercier dans son Tableau de Paris. Chaque quartier est une personne morale avec une personnalité particulière et l’on y vit sous le regard des autres car à l’époque, on vit dehors. Il n’y a pas de portes et les ateliers sont dans la rue. Il y a beaucoup de marchands ambulants. Espace public et espace privé sont confondus. Tout arrive par la Seine et notamment le bois du Morvan. Les carrefours sont lieux d’échanges et d’embauche, les ponts sont très animés. L’eau provient de la Seine, de la fontaine ou des porteurs d’eau. Montreurs d’ours et petits vendeurs de nouvelles et de pamphlets à un sou se côtoient. S’il y a solidarité entre voisins et compagnons de travail, la violence physique se frotte à une police bien organisée depuis le règne de Louis XIV et à l’incarcération dans l’une des 25 prisons.

Aussi la foule est omniprésente dans les rues, les églises, sur les bords de Seine, dans les faubourgs où le vin est moins cher. Les voyageurs, comme Arthur Young, éprouvent de l’effroi devant cette marée humaine désordonnée. Ce qui frappe, ce sont les bruits, les voix et les gestes. Le peuple, aux deux tiers analphabète, est bouche ouverte. Il s’exprime avec son corps dans la promiscuité mais avec une grande pudeur. C’est une société orale, sans écrit. Chaque marchand a son cri pour être entendu dans la cacophonie.

Les aristocrates comme la bourgeoisie marchande et intellectuelle vivent à Paris dans les hôtels du Marais ou dans les étages nobles des immeubles. Leurs domestiques traduisent à leurs maîtres tous ces cris très différents des conversations de salon et émis par des voix rauques et grossières. C’est une langue étrangère qui est au sens premier du terme « inepte » et les domestiques font fonction d’interprètes. S’ajoutent à cela les migrants venus de toutes les provinces du royaume pour trouver du travail. Population flottante utilisant tous les patois, tous les accents, toutes les prononciations à tel point qu’il faut des interprètes devant le tribunal de police.

Pour le roi, la foule est « l’inconnue des inconnues ». Perçue comme « étrangère », elle fait peur. Partout, on colle très haut des affiches, des placards, aujourd’hui conservés sur plusieurs épaisseurs. On les lit à haute voix, les réactions fusent. Aussi Paris auquel le pouvoir porte grande attention est-il très surveillé par des inspecteurs de police et par des mouchards payés pour écouter ce qui se dit, notamment dans les cabarets. Les mauvais propos, même peu graves, peuvent conduire à la Bastille. Les blasphèmes et les sacrilèges sont les plus grands forfaits. Parler du roi est interdit car le lien roi- sujets doit être fusionnel mais des changements apparaissent. Dans l’émeute, la cabale, le peuple est immédiatement confronté à la monarchie. Son seul rempart est son corps. Mais les foules ne sont pas irrationnelles, leurs mouvements s’appuient sur des réalités sociales. Elles sont capables de ferveur, d’enthousiasme, de solidarité en plein siècle des Lumières.

Les questions ont permis à Arlette Farge de préciser certains points.

Elle ne croit pas à la continuité de l’histoire et elle travaille comme si la Révolution n’avait pas existé et sans penser que le 14 juillet allait arriver. L’histoire est imprévisible. Qui pouvait en 1720 prévoir 1789 ? La faiblesse de l’historien est qu’il connaît ce qui va arriver aux temps passés. Aussi doit-il être modeste.

À propos des grandes villes de province, elle souligne le rôle très important des octrois, lieux de passage, de mendicité, de prostitution avec une sociabilité particulière liée à la présence des soldats.

Comment la Révolution désirant une seule voix pour la nation souveraine a-t-elle résolu le problème de la langue ? Une grande enquête initiée par l’abbé Grégoire a été faite par 64 personnes envoyées dans les villages pour décrire tous les patois et toutes les prononciations. La volonté était d’éradiquer les patois. Pour commencer, la Déclaration de l’homme et du citoyen devait être prononcée en bon français.

Enfin, une question a été posée sur la série télévisée « Nicolas le Floch ». Arlette Farge répond que tout y est vrai et que les auteurs, très malins, n’ont pas vraiment plagié ses recherches. Elle pense que si les découvertes des historiens sont utilisées par d’autres, cela doit les inciter à mieux faire passer leur travail auprès du public.
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mercredi 2 mars 2011

Peut-on encore vivre heureux dans la société numérique ? par Yann Padova

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La séance du jeudi 10 février a été consacrée à un sujet de société très actuel posé sous la forme d’une question déterminante:
Peut-on encore vivre heureux dans la société numérique ?
Notre invité était:
Yann PADOVA, secrétaire général 
de la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés

En présentant le conférencier, intervenant à l’ENA et à l’École Nationale de la Magistrature, Alain MALISSARD a tenu à souligner la nouveauté d’un tel sujet qui fait appel à une technologie de pointe et qui, en même temps, montre la permanence de l’esprit budiste, puisque notre Père Fondateur, philologue et helléniste s’est fait connaître par le De Asse, un ouvrage en latin de réflexions morales et politiques à partir de problèmes monétaires.

À une telle question, quelque peu provocatrice, certains esprits chagrins répondront par la négative, mais à l’inverse beaucoup considéreront que cette société numérique apporte le bonheur. Internet n’est-il pas une promesse de partage, de croyance en une convergence entre progrès moral et progrès technique ? Le droit au bonheur, inscrit déjà dans la Déclaration de 1789 n’est-il pas de nos jours imprescriptible ? C’est en effet sur cette notion de valorisation du bonheur que notre conférencier a commencé son analyse de la société contemporaine, caractérisée par la conjonction de trois phénomènes :
  • le besoin primordial de sécurité (conséquence immédiate de l’Attentat du 11 septembre 2001) avec une multiplicité des garanties,
  • le développement très rapide des technologies, lequel a créé une “société de surveillance”, avec une multiplicité de contrôles officiels et privés,
  • la présence d’une menace réelle, proliférante sur le bonheur individuel — ou tout au moins sur notre domaine personnel.
Et c’est bien pour protéger la vie privée des personnes, laquelle risquerait de devenir “un espace en voie de disparition” — qu’a été créée la CNIL, par la Loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique et aux fichiers. Cet organisme de régulation est, du point de vue juridique, une A.A.I, c’est-à-dire une autorité administrative indépendante. Il a vu le jour à la suite d’une levée de boucliers causée en 1974 par le projet SAFARI (Système automatisé pour les fichiers administratifs et le répertoire des individus), où, à l’aide du simple numéro de Sécurité Sociale, interconnecté à toutes sortes de dossiers, il était possible de “ficher” tous les Français. On a cru voir le spectre de Big Brother se profiler à l’horizon…

Yann Padova nous propose alors une analyse des risques. Le premier est contenu dans l’allégorie de George Orwell qui évoque à la fois un État omnipotent qui contrôle tout et un État inquisiteur qui veut tout savoir du citoyen, lequel devient totalement transparent dans les régimes totalitaires. On pense aussitôt à la création récente (le 20 juillet 2008) du fichier “Edwige” ou “exploitation documentaire et valorisation de l’information générale”, qui a soulevé un véritable scandale, faisant écho à celui causé par le décret de 1990 réorganisant le service des Renseignements Généraux. Un autre risque consiste en ce qu’on peut appeler l’“irrationnel irrécupérable” : le meilleur exemple est l’existence du STIC (système de traitement des infractions constatées) qui est une base de données interconnectant tous les fichiers de police que la Préfecture a le droit de consulter lors du recrutement de personnel ; étant donné que l’informatique conserve la mémoire de toute affaire, même classée depuis longtemps, elle fonctionne comme “un mécanisme à produire de l’exclusion”.

Yann Padova, abordant un second point de son propos, nous montre que Big Brother n’est pas seul. Il y a un autre danger, plus insidieux appelé “Little Sister” : ce terme désigne “le développement et la multiplication non coordonnés des systèmes d’information collectant des données sur des personnes dont la synergie pourrait conduire à une certaine forme de surveillance, donc de restriction des libertés individuelles. ”Il faut prendre en compte, en plus des données objectives des papiers d’identité, de celles circulant sur les multiples réseaux sociaux tissés sur le web, lesquelles créent parallèlement une société de “sous-veillance”.

Il passe ensuite en revue les principales techniques : la vidéo-surveillance (sur la voie publique comme dans l’usage privé), la géo-localisation (qui va du GPS à la filature policière), la biométrie ou l’identification d’un individu par une partie du corps (la plus “pointue” étant la reconnaissance faciale). Certains aspects du progrès technologique ne laissent pas d’être inquiétants, comme la vidéo-surveillance dite comportementale (capable de débusquer dans un groupe les attitudes bizarres ou “comportements erratiques”) Notre conférencier dénombre trois phénomènes préoccupants : la concentration (par exemple dans les aéroports où l’on multiplie les caméras et scanners), la “dilation” (en quelque sorte une expansion incontrôlée, du fait que, les serveurs étant “externalisés”, les informations sont non localisables et irréparables), la miniaturisation, phénomène le plus dangereux, car avec les nanotechnologies, se profile à plus ou moins long terme le risque du “clonage mental”, nous privant de la pensée originale et du secret…

Mais il y a un risque immédiat presque aussi grave, celui du “traçage” de la personne : peut-on être heureux quand on est “tracé” ? (La “traçabilité” a été inventée pour les poulets, pas pour les hommes !”) Si le traçage dans l’espace peut avoir une certaine utilité, en revanche le traçage dans le temps pose actuellement un problème extrêmement grave : toute information, une fois livrée, est irrécupérable ; la durée de conservation est illimitée. Aussi l’individu est-il sclérosé, figé, sinon pour l’éternité, au moins pour la vie. Or il se construit grâce à l’oubli ; il a donc le droit à l’oubli, un droit aujourd’hui menacé.

Yann Padova aborde alors la conclusion en reposant la question initiale sous une forme plus positive (et plus cinématographique !) : comment “sauver le soldat bonheur “dans cette société numérique ?

À l’échelle du citoyen, tout simplement en faisant connaître le rôle de la CNIL, et en faisant appel à elle, lorsqu’il y a atteinte évidente aux libertés. Son rôle est d’ailleurs de plus en plus reconnu, ne serait-ce que par le nombre de dossiers traités. Le travail pédagogique est développé, notamment par un partenariat avec la presse spécialisée à destination des jeunes ; récemment a été édité un Guide pour les enseignants du second degré. Dans un autre domaine, la CNIL a obtenu que dans tout document filmé ou vidéo, les visages soient floutés. Elle a l’ambition de jouer un rôle préventif et curatif, et à ce sujet d’être le “nettoyeur du net”. À la différence des USA, où les données sur la personne sont considérées comme un bien marchand, en France, la protection est liée à la dignité de la personne ; à la société de contrats, nous opposons une société de valeurs.

Ces dernières constatations, après les inquiétudes réelles devant le futur des techniques de pointe au service non du Grand Frère mais des Petites Sœurs nous donne quelque espoir…
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