lundi 5 mars 2012

Colette Audry


Le jeudi 16 février Séverine LIATARD, historienne et productrice à France-Culture a présenté :

COLETTE AUDRY, les femmes et la politique
En présentant Séverine LIATARD, le Président Alain MALISSARD a rappelé d’abord qu’elle était venue à Orléans interviewer les membres du Bureau - en compagnie de Charlotte Roux- en vue de l’émission de la “Fabrique de l’Histoire” du 5 octobre 2010 avec pour titre : “Des humanistes modernes à Orléans” (que l’on peut toujours écouter), ensuite qu’elle était l’auteur de : Les femmes politiques en France de 1945à nos jours, ainsi que d‘une thèse sur Colette Audry, grande figure encore méconnue aujourd’hui. Elle était donc la bienvenue dans notre association, qui, sans attendre que soient fixés des quotas, avait invité des personnalités féminines, telles Jacqueline de Romilly ou Élisabeth Badinter et mis à son programme Marguerite Yourcenar, Colette, Camille Claudel, Françoise Sagan et, en remontant le temps… l’orléanaise Thérèse Levasseur, la compagne de Rousseau.
Séverine Liatard, dans un style personnel, direct, sans apprêt, a donné d’emblée les raisons de son choix : oubliant volontairement les personnalités trop connues, elle s’est attachée à cette femme que le grand public n’a remarqué que par son Prix Médicis de 1962 (Derrière la baignoire) et qui représente à ses yeux l’intellectuelle à la conquête de sa liberté au cours du XXe siècle, à la fois comme enseignante, journaliste, scénariste, femme politique, écrivain et féministe dans “un contexte où l’accès des femmes au pouvoir reste problématique”.

Nous avons donc suivi son itinéraire, chaque étape marquant la construction de ses différentes identités. Colette Audry vient d’un milieu de tradition républicaine, laïc et protestant, où l’on est convaincu que la réussite scolaire mène à l’ascension sociale. Après des études secondaires au Lycée Molière, que fréquente aussi sa cadette — qui deviendra la cinéaste Jacqueline Audry — puis en khagne, elle entre à l’ENS de Sèvres, obtient l’agrégation de Lettres Modernes en 1928. Deux ans plus tard elle enseigne au Lycée Jeanne d’Arc de Rouen, où, au contact de ses collègues (elle y rencontre Simone Weil, Simone de Beauvoir, Sartre et Nizan) elle s’engage politiquement, d’abord par la voie du syndicalisme universitaire. Séverine Liatard, abordant cette période d’activité militante, décrit le climat d’effervescence qui règne alors dans les années de l’avant-guerre ainsi que les prises de position de Colette Audry : son adhésion au Comité de vigilance des Intellectuels antifascistes (né au lendemain du 6 février 1934), puis à la Gauche révolutionnaire, tendance de la SFIO menée par Marceau Pivert, enfin son engagement pour une intervention directe en faveur des Républicains espagnols. Elle donne l’exemple en devenant correspondante du POUM (parti ouvrier marxiste dissident). Anti-stalinienne convaincue, elle dénonce l’imposture des Procès de Moscou. Elle s’engagera ensuite dans le combat anticolonialiste. Sous l’occupation, elle sera agent de liaison dans un groupe de résistance affilié aux FTP, mais sans jamais y jouer un rôle de premier plan.

Entre 1945 et 1960, Colette Audry décide de se consacrer davantage à la littérature, mais toujours dans l’idée que celle-ci a une fonction sociale ; c’est ainsi qu’elle participe à l’aventure des Temps Modernes, tout en s’exerçant à l’écriture cinématographique, d’abord avec René Clément (pour La Bataille du Rail), ensuite avec sa sœur Jacqueline, laquelle adaptera à l’écran son succès théâtral (Soledad). Cependant, elle n’abandonnera pas ses préoccupations politiques, dans sa recherche d’un “socialisme de gauche” ; seule au milieu d’un univers masculin, elle s’implique dans des groupes de recherche qui aboutiront à la création du P.S.U. À partir de 1962, elle repart au combat politique, mais cette fois au nom du “Deuxième Sexe” (la lecture du livre de Simone de Beauvoir a été pour elle déterminante). Elle participe activement aux premiers pas du M.D.F — le Mouvement démocratique féminin, un “laboratoire d’idées féministes et socialistes” et en 1971, elle rejoindra le P.S. de François Mitterrand, sans jamais renier ses deux objectifs de lutte : l’égalité des femmes au travail et dans l’accès à la culture.

Après avoir présenté l’ensemble des écrits de Colette Audry — dont La statue (1983), “récit plein de charme d’une éducation sentimentale et d’une conscience qui se construit”, sans oublier sa correspondance des dernières années avec un moine bénédictin d’En Calcat, François Durand-Gasselin, publiée en 1993 sous le titre “Rien au-delà” — Séverine Liatard a porté un regard critique sur le parcours de cette femme tout compte fait inclassable ainsi que sur ses diverses “postures”. La première est l’enseignante, déjà déclassée par rapport à ses collègues masculins, voire infantilisée dans sa formation de Sévrienne, destinée à n’être qu’une “transmetteuse du savoir”. Celle-ci ne s’accomplira que dans l’engagement politique, mais sans participer au pouvoir, se disant “citoyenne par procuration”, puisqu’encore privée du droit de vote. De fait, il y aura toujours chez elle un combat intérieur entre engagement et écriture, un autre entre la militante et l’intellectuelle. Le féminisme l’a aidé à se penser comme intellectuelle ; cela dit, elle s’est toujours rangée parmi les “égalitaristes” par opposition à celles qui croient aux différences inhérentes au sexe ; elle estime qu’il faut changer le rapport hommes/femmes et que, de toute façon le féminisme ne peut se régler seul. Mais Colette Audry a toujours cherché à préserver son indépendance : son “espace d’écriture“ était nécessaire à sa réflexion et à sa liberté.

Belle figure de femme qui demandait à être davantage reconnue et merci à Séverine Liatard qui a su nous la rendre vivante.

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