lundi 24 décembre 2012

Jean Vilar ou la ligne droite

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Pour célébrer le centième anniversaire de la naissance de Jean Vilar, la section orléanaise de l’Association Guillaume Budé avait invité ce mardi 18 décembre, Jacques Téphany, directeur de la Maison Jean Vilar à Avignon et gendre du grand homme de théâtre. Jacques Téphany vient d’éditer dans les Cahiers Jean Vilar la correspondance échangée de 1941 à 1971 avec sa femme, Andrée Schlegel.

Dans une première partie, Jacques Téphany nous entretient du long combat que fut la vie de Jean Vilar jusqu’en 1941. Fils de petits commerçants merciers de Sète, il était, par sa famille, proche du prolétariat et n’avait aucun contact avec le théâtre. Mais son père, autodidacte qui avait souffert de n’avoir pu faire d’études, avait constitué une bibliothèque comprenant les grands classiques de la littérature. Jean avait pu ainsi y puiser dans sa jeunesse. À vingt ans, il décide de monter à Paris et il rame dans divers petits métiers jusqu’au jour où il accompagne un camarade au théâtre de l’Atelier et assiste à une répétition d’une pièce de Shakespeare sous la direction de Charles Dullin. C’est pour lui une sorte de coup de foudre et tout de suite le théâtre lui apparaît comme un lieu sacré, un lieu magique. Il demande alors à Dullin un emploi et il devient régisseur ce qui lui permettra d’apprendre son métier. Ses origines et sa vie difficile expliquent son attention aux classes populaires et son goût pour l’anarchisme. Réformé pour une appendicite mal soignée, il participe en 1941 à Jeune France, une association créée par Vichy dans le cadre de la Révolution nationale, en direction de la Jeunesse. Il y rencontre le responsable, Pierre Schaeffer, un des futurs piliers de l’ORTF, Maurice Blanchot, pour lesquels il aura beaucoup d’admiration, Jules Roy, Olivier Hussenot, Jean Dessailly, Maurice Martenot. Jeune France a fonctionné pour ce milieu comme l’école d’Uriage pour les cadres (avec le même destin, la dissolution en 1942). Jean Vilar rejoint la Compagnie de la Roulotte d’André Clavé et part en tournée dans l’Ouest où il découvre la joie de jouer devant des publics populaires et le goût de diriger. Ayant toujours souhaité d’être écrivain, il produit deux pièces mais ses grands débuts datent de 1942 quand il monte « La danse de mort » de Strindberg pour sa propre Compagnie des Sept au Théâtre de Poche.

Entre temps, en 1941, il associe son destin à celui d’une Sétoise, Andrée Schlegel, fille d’un bon peintre local et c’est le début d’une correspondance qui durera 30 ans, jusqu’à sa mort en 1971 et qui ne sera découverte qu’au décès de sa femme en 2009.

Jacques Téphany lit et commente alors les passages les plus significatifs des lettres en suivant un ordre chronologique. Jean Vilar s’y révèle tout entier, avec son amour profond pour sa femme et ses trois enfants, son attachement à Sète et au Midi, sa passion et sa conception du métier, ses relations avec les élites intellectuelles et les comédiens, l’évolution de sa carrière. Que retenir d’une correspondance aussi foisonnante ?

Avant 1945, alors qu’il est en contact avec Blanchot et Char, il évoque « son goût inné de l’obstacle » et sa perception d’un temps compté, d’une vie brève par rapport à l’œuvre à accomplir. Son métier est proche de celui de l’instituteur, il faut répéter sans cesse pour obtenir l’excellence, ce qui entraîne une certaine fatigue cérébrale. Mais c’est un métier en accord profond avec son tempérament et par lequel il forge son caractère. Il aime le parler pur, sans fioritures inutiles, le dépouillement des décors, essence de son théâtre.

En 1945, il crée la Compagnie des Sept et déjà il y démontre sa conception d’un théâtre nouveau par abonnements et qui s’ouvre à côté de la scène par des conférences, des expositions, plus tard, une cafétéria. Il aurait aimé monter le « Caligula » de Camus mais cela n’a pu se faire et il s’en console en jugeant que c’est un faux chef-d’œuvre.

En 1946, il participe avec Pierre Dux à la renaissance de la Comédie Française et l’année d’après, il crée la Semaine de l’Art dramatique à Avignon, préambule au Festival, avec trois spectacles dont un dans la Cour du Palais des Papes. Avignon réussira mais Vilar écrit : « J’emmerde la gloire ». Il commence à être reconnu (« Je suis orgueilleux pour les autres ») mais est obligé de faire un peu de cinéma pour faire bouillir la marmite.

En 1954, il prend quelque distance avec le Festival pour des raisons politiques. Il passe pour être communiste du fait de sa conception du théâtre à la fois pour les élites et pour les classes populaires  et aussi à cause de  sa proximité avec Gérard Philipe. L’Etat réduit sa subvention de 25%. Il est malade, il somatise et on peut penser qu’il a fait un premier infarctus à cette époque.

En 1955, il effectue un voyage en Grèce où il est frappé de l’isolement des théâtres par rapport aux villes (Epidaure, Delphes) et il fait le rapprochement avec son initiative d’installer le Festival à Avignon, si loin de Paris. Dès 1956, il pense souvent à la mort et il se donne quinze ans pour achever son œuvre, prescience qui allait se révéler exacte.

Jacques Téphany termine sa conférence en soulignant le charme de Vilar « On ne pouvait rien refuser à Jean », sa grande amitié avec Maria Casarès et sa préférence théâtrale pour Tchekhov. Personnage complexe, « un mystère en pleine lumière », Vilar pouvait s’enorgueillir d’avoir attiré à Chaillot et à Avignon des millions de spectateurs, ce qui en faisait un maître mondialement connu et respecté. « Je m’en fous de vieillir » disait aussi celui qui reconnaissait que « la chance, c’est la rencontre d’une femme » et qui, pensant à son petit-fils, en faisait le symbole de la continuité de la vie.

Des applaudissements nourris saluent tout l’intérêt de cette belle et originale conférence.


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