mercredi 25 janvier 2012

Les Romains en Chine

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Le jeudi 12 janvier 2012, les budistes sont venus nombreux, sans aucun doute attirés par l’originalité du sujet, écouter
Jean-Noël ROBERT
latiniste et historien spécialiste des mentalités romaines,
(bien connu par ses nombreux ouvrages parus aux Belles Lettres)
venu parler d’une curiosité historique, sous le titre:
Quand les Romains allaient en Chine
Nous attendions depuis longtemps notre conférencier — annoncé l’an dernier et empêché par une grève de la SNCF — pour qu’il étanche notre soif d’inattendu. Celui-ci a rappelé d’emblée que, lorsqu’on évoque la découverte de ce pays immense et lointain, c’est à Marco Polo que l’on pense aussitôt. Or les premiers grands voyageurs ont bien été les Romains, ou plus exactement, les alliés (involontaires) des Romains, en l’occurrence… les Gaulois! En effet, un petit contingent de nos supposés ancêtres, commandé par Publius Crassus, le fils du triumvir rival de César et Pompée, participait à la campagne contre les Parthes qui se termina par l’humiliante défaite de Carrhae en -53 (au milieu de l’Iran actuel) où périrent d’ailleurs les deux Crassus. Les Huns qui attaquaient de leur côté les Parthes firent prisonniers les Gaulois, les embrigadèrent de force dans leurs hordes, pour affronter les Chinois, lesquels, à leur tour, capturèrent nos Gaulois après une autre terrible bataille qui eut lieu en -36. Aujourd’hui, dans la région du Lob-Nor (asséché), certains autochtones appelés par leurs voisins “les long-nez”, se disent descendants des Romains…

J.N. Robert a eu raison — carte à l’appui — de nous rappeler quelques notions historiques et géographiques sur l’Asie aux premiers siècles de notre ère : l’empire de Chine étendu à l’ouest jusqu’au Pamir (que les Romains de l’époque assimilaient au pays des Sères, donnant son nom à la soie, ce tissu aussi convoité qu’onéreux), celui des Kouchans, occupant une position centrale — en gros l’ancien royaume de Bactriane, foyer de culture et lieu d’échange —, des Parthes, redoutables guerriers, sur les restes de l’ancien empire séleucide et perse, tandis que Rome règne de la Mer noire à l’Euphrate.

Les relations entre Rome et la Chine ont repris au IIe siècle, et de manière plus officielle : les Annales chinoises de la dynastie des Han attestent qu’en 166 des Romains — peut-être des ambassadeurs envoyés par Marc-Aurèle — furent reçus par le Fils du Ciel. Ils étaient venus de Ta T’sien (= l’autre Chine ! c.a.d. Rome) par la voie maritime, déjà connue des Indiens qui savaient utiliser les vents de mousson et éviter les pirates. Cependant des échanges commerciaux ont transité, par des routes terrestres dangereuses pour atteindre Tch’ang-ngan, la capitale de la “soie blanche”, dont deux principales : celle du nord, par la Sogdiane et la région de Kachgar, celle du milieu par Palmyre et Persépolis, le Pamir et le désert du Taklamakan, l’un des plus hostiles au monde, où la chaleur peut atteindre 50 degrés…

Cependant les relations entre Rome et la Chine n’ont pas été uniquement d’ordre économique. À partir du Ie siècle de notre ère, l’Empire kouchan va jouer un rôle de premier plan : la région du Gandhâra, au nord de l’Inde, lieu de naissance de Bouddha connaît une grande effervescence religieuse, propage le bouddhisme dans toute l’Asie, d’abord sous la forme dite du “Petit Véhicule”, sorte d’ascèse personnelle, puis, plus tard sous la forme du “Grand Véhicule” qui crée pour la première fois l’image du Bouddha. Celui-ci apparaît, à Peshavar comme à Taxila, revêtu de la toge romaine, avec le visage de l’Apollon hellénistique ; c’est un bel exemple à la fois de syncrétisme religieux et de mélange des arts de l’Inde, des Parthes et du style gréco-romain. De telles représentations vont essaimer jusqu’aux confins de la Mongolie, montrant le croisement des cultures, tandis qu’à Rome, les mentalités se complaisent à imaginer une Chine de légende, totalement fantaisiste, même avec la caution d’un Pline l’Ancien.

Au fil du temps, ces deux mondes lointains vont s’oublier peu à peu — surtout à partir du VIIe siècle, lorsque l’Asie subit des invasions successives dont les Huns, les Turcs et les Arabes — jusqu’au XIIIe siècle où un marchand vénitien pénétra au royaume du Grand Khan, rejetant définitivement dans l’ombre ces hardis explorateurs anonymes...
M. J. N. Robert a abordé sa conclusion en franchissant délibérément les siècles : la Chine d’aujourd’hui, bien éveillée depuis quelques décennies, n’a rien perdu de sa volonté d’expansionnisme, mettant en danger la paix mondiale. Un coup d’oeil sur la répartition des richesses entre Orient et Occident est édifiant : au Moyen-Age, les 2/3 étaient en Asie ; au XIXe, lors de la révolution industrielle le rapport est inversé ; de nos jours on assiste à un retour de balancier. Les relations entre la Chine et l’Occident peuvent nous réserver encore des surprises. Et la route de la soie gardera ses secrets … et ses pièges…


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Paroles de poètes, par Jean-Marie BARNAUD et Jean-Pierre SIMÉON

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Dans la cadre du nouveau cycle "Retour aux conférences passées…" voici une première cassette numérisée :

par Jean-Marie BARNAUD 
et Jean-Pierre SIMÉON, poètes

Cet enregistrement a été effectué le mercredi 8 février 2006, dans la salle Marcel Reggui de la Médiathèque d'Orléans.

Vous pouvez aussi consulter le compte rendu de cette conférence à deux voix.
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Retour aux conférences passées…

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Notre association a été créée il y a bientôt 60 ans, c'était le 23 novembre 1954. Depuis cette date, près de 350 conférences ont été prononcées. Vous pouvez retrouver le compte rendu de chacune de ces conférences sur une longue page de notre site intitulé "Les conférences depuis 1954", il vous suffit de cliquer sur leur titre.

Un formidable travail de Bénédictin a été effectué par les différents secrétaires de notre association, de Michel ADAM  à André LINGOIS et Gérard LAUVERGEON actuels titulaires de cette charge. Ces comptes rendus sont rédigés afin d'être publiés dans la rubrique "La vie des sections" du bulletin de notre association nationale (deux numéros par an).

Depuis longtemps Pierre NAVIER d'abord, puis moi-même, nous enregistrons les conférences. Dans un premier temps pour éventuellement aider les secrétaires dans leur tâche, puis pour les communiquer aux absents. Enfin nous les avons mises en ligne afin de les proposer à l'écoute sur le web. Aujourd'hui, elles sont directement numérisées grâce aux enregistreurs portables modernes. Comme de nombreuses cassettes ont aussi été enregistrées au fil du temps, nous avons décidé de les numériser.

Une zone "multimédia", accessible à partir de l'espace "Budé-multimédia", été mis en place sur notre site (en bas et à droite de notre page d'accueil). Aujourd'hui vous pouvez écouter toutes les conférences données depuis septembre 2009. Je vais vous proposer d'écouter ou de réécouter les enregistrements anciens que nous possédons, à raison d'une conférence par semaine.

Vous êtes invités à réagir à ces publications en rédigeant des commentaires (souvenir, découverte, intérêt…). Pour cela il vous suffit de cliquer sur le lien "commentaires" situé sous chacun des messages de ce blog.

Note : quelques explications à propos de la rédaction des commentaires sur notre site.
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samedi 14 janvier 2012

Anatole Bailly (1833-1911)

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L’Académie d’Orléans, l’Asso-ciation Guillaume Budé et la Société historique et archéo-logique de l’Orléanais s’étaient associées ce mardi 8 décembre pour commémorer le centenaire de la mort d’Anatole Bailly, l’illustre Orléanais. Après la visite en l’Hôtel Groslot d’une exposition préparée par la Médiathèque, le soin de faire revivre l’immortel auteur du dictionnaire grec-français avait été confié à Jean Nivet, agrégé de lettres classiques et vice-président de la section orléanaise de l’Association Guillaume Budé.
En introduction, le conférencier rappelle qu’un hommage avait été rendu le 18 décembre 1933, notamment par les deux sociétés savantes orléanaises de l’époque « au savant renommé dans toute l’Europe ». Pour l’hommage présent, il veut associer à Anatole Bailly, Emile Egger (1813-1885), normalien comme lui, qui fut son maître et son ami et avait participé à la diffusion des théories nouvelles venues d’Allemagne sur la science du langage et leurs répercussions sur la grammaire et l’enseignement des langues anciennes.

La famille paternelle de Bailly est originaire du Perche, d’un milieu de paysans et d’artisans. C’est son grand-père qui s’établit à Orléans, rue de la Bretonnerie, comme marchand de vin et y gagne suffisamment d’argent pour être électeur censitaire. Son père, directeur des Messageries de diligences Orléans-Paris, franc-maçon, a, d’une liaison avec une couturière, deux enfants, une fille et Anatole (né en 1833) reconnus lors du mariage en 1837. Dans ses « Souvenirs d’enfance », Anatole évoque sa vie dans le quartier Saint-Paterne, la pension où il est initié au grec et le lycée où il obtient le bac en 1852. C’est alors le départ à Paris pour la pension Favard et le lycée Charlemagne pour préparer le concours d’entrée à l’Ecole normale qu’il réussit et où il suit les cours d’Egger. Reçu à l’agrégation, il enseigne à Lyon puis à l’annexe de Vanves de Louis-le Grand et, en 1861, il est nommé à Orléans au lycée impérial (devenu Pothier en 1924), professeur de 4ème, chaire qu’il occupera pendant 26 ans sans vouloir changer.

A. Bailly s’y tient au courant des nouveautés de la linguistique, notamment la grammaire comparée fondée par l’Allemand Bopp et pour laquelle Egger avait écrit un manuel d’initiation montrant son apport pour les études littéraires et les langues anciennes. Le ministre Fortoul l’avait introduite dans les programmes officiels mais bien des professeurs s’étaient montrés réticents. Cependant, un groupe de jeunes professeurs orléanais en liaison avec Michel Bréal, fondateur de la sémantique, s’était donné pour tâche de faire connaître ces nouveautés de même que celle de la mythologie comparée de l’Allemand Max Müller.
Face aux critiques contre la place du latin et du grec au cœur des études, Bailly pense que le discrédit vient des méthodes d’enseignement et il obtient du ministre Duruy l’arrêt du « Jardin des racines grecques » (en vers, s’il vous plaît!) datant de Port-Royal. En 1869, il publie  un « Manuel pour l’étude des racines grecques et latines », le premier à diffuser dans les lycées « les travaux étymologiques de nos maîtres », puis une « Grammaire grecque » en 1872. Avec Bréal auteur d’un ouvrage important sur l’instruction publique, il défend une autre manière d’enseigner le latin en remplaçant la mémoire par l’explication pour entrer dans une nouvelle façon de penser et de parler. Le ministre Jules Simon la propose mais suscite une levée de boucliers de la part des professeurs. Bailly est accusé par Mgr Dupanloup de vouloir « le nivellement démocratique de l’esprit français ». En application de la réforme de Jules Ferry, il fait paraître avec Bréal quatre ouvrages scolaires intitulés « Les Mots groupés d’après l’étymologie et le sens », un concernant les mots grecs et trois les mots latins.
  
La gloire de Bailly est évidemment l’élaboration de son Dictionnaire grec-français dont l’idée est lancée en 1876 par la librairie Delagrave, reprise et mise à exécution ensuite par Hachette. Il est aidé pour la mise en fiches par son fils et Egger mais à la mort de ces deux hommes il se retrouve seul. Le report d’Hachette lui permet de tout remettre sur le métier pour intégrer les récentes découvertes philologiques et mythologiques. Pour achever ce gros travail, il demande sa retraite anticipée en 1887 et la première édition (2226 pages sur 3 colonnes) peut paraître en 1894, représentant 20 ans de travail. Pendant 17 ans, dans plusieurs éditions, il perfectionnera son ouvrage, reçu de manière très élogieuse. Il meurt à sa table de travail dans sa petite maison de la rue Bannier le 12 décembre 1911 et il est inhumé au grand cimetière où sa tombe est aujourd’hui en grand danger.

Toute sa vie, Anatole Bailly a été très attaché à sa ville natale, qui elle-même était fière de son grand homme, coopté par les deux sociétés savantes locales. C’était un bon professeur, enseignant avec ordre et méthode. Comme dérivatif à ses travaux, il composa de la poésie, dessina et écrivit même un roman à l’eau de rose. C’était un homme modeste, manquant de confiance en lui, ayant toujours besoin d’être rassuré, encadré. Grand travailleur, érudit, il avait une vive intelligence de la grammaire et il a esquissé ce qui allait devenir la sémantique.

Par une longue salve d’applaudissements  la salle, captivée, salue à la fois la riche et remarquable conférence de Jean Nivet et la grande figure orléanaise que fut Anatole Bailly.

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