lundi 11 mars 2013

George Dandin par Patrick Dandrey

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Le jeudi 7 mars, les Budistes orléanais ont eu grand  plaisir à écouter un conférencier de très grande qualité, spécialiste de la littérature du XVII° siècle, en l’occurence Patrick DANDREY, professeur à l’Université de Paris IV (Sorbonne) venu parler de :
George DANDIN 
ou  le  secret d’une comédie “grinçante”
en prélude à la représentation de la pièce en partenariat avec le CDN.

M. Dandrey est entré aussitôt dans le vif du sujet : George Dandin est une farce, d’un comique classique à la fois par le sujet — une histoire de cocuage — et la structure répétitive et pourtant, elle renferme une part de mystère. D’abord le lieu de sa création (les Jardins de Versailles) est inhabituel, ensuite les circonstances le sont également : ce “grand divertissement” au mois de juillet 1668 compensait le Carnaval, annulé pour cause de Roi aux armées. Mais — double compensation — on fête la victoire et la paix d’Aix-la-Chapelle. De plus  c’est une commande “à livrer de suite”, ce qui oblige Molière à puiser dans son fonds provincial et à reprendre le canevas brodé à gros points de La Jalousie du Barbouillé. Mais, divertissement oblige, cette farce s’inclut dans une idylle champêtre avec des scènes dansées, des “sucreries musicales”. Or pastorale et cocuage ne font pas bon ménage ; il y a donc rupture de ton et de style. 

La pièce se déroule selon “une dynamique contrastée” : Dandin, comme l’Arnolphe de L’Ecole des Femmes, piétine tandis que sa femme Angélique et son amoureux progressent ; les jeunes s’adaptent, alors que le barbon s’enferre progressivement. Il essaie par tous les moyens de prouver qu’il est cocu et il ne le peut pas ! — moments à la fois drôles et pitoyables. M. Dandrey souligne justement cet aspect grinçant de la pièce, qui a parfois les accents d’une satire sociale, avec sa rudesse et même sa noirceur, que renforcent la peinture caricaturale des beaux-parents (le couple des Sotenville, aristocrates décatis), le cynisme de l’épouse, la sottise du valet et la méchanceté de la servante Claudine. Ce côté sombre de la comédie contraste apparemment avec d’une part les mièvreries de la pastorale, de l’autre le décor somptueux inventé par Vigarani de ce théâtre de verdure éphémère agrémenté de jeux d’eaux et de feux d’artifice.

Dans un tel cadre, on peut se demander pourquoi Molière a choisi un tel sujet  — sujet à contre-courant, car d’habitude, le mariage clôt la comédie ; ici tout se passe après le mariage. En réalité, la trame se trouvait déjà au début de L’Impromptu de Versailles, où “Mademoiselle Molière” dit à son mari : “Le mariage change bien les gens.” L’auteur définit lui-même Dandin comme “paysan marié”, par opposition au “berger amoureux” de la pastorale ; il se crée alors un décalage entre l’univers (et le langage) précieux de la “bergerie” et celui de la réalité. Cette divergence dans les registres est à la base même du burlesque, dont un des modèles litttéraires est le Virgile travesti de Scarron.

M. Dandrey a tenté alors “la genèse hypothétique de George Dandin” : au départ Molière aurait pensé à un ballet burlesque, dans le genre du Ballet des Muses représenté à Saint-Germain en 1666, avec une églogue et une farce en contrepoint, laquelle pourrait être une suite au Mariage forcé ; il reprendrait donc le motif du mari  destiné à être trompé, en l’étoffant au moyen des deux  thèmes de la jalousie et de la mésalliance. Il a dû s’interroger sur “la morale” de sa pièce et sur l’image qu’il veut donner de son héros Dandin : un benêt issu d’une farce médiévale ? un tyran domestique ? un être foncièrement  antipathique ? un pauvre bougre capable de nous émouvoir ? On pourrait répondre un peu trop facilement qu’il est tout cela à la fois, car il n’est pas ce qu’on appelle au théâtre un “caractère”. M. Dandrey le résume parfaitement : “Dandin n’est pas tellement plus ridicule qu’Alceste. Molière l’a même rendu attendrissant.” Et de nous montrer un dernier effet de “décalage” : le rire qui aurait dû accompagner le bonhomme Dandin/mari bafoué, s’est concentré sur les Sotenville qu’il surnomme “les sémaphores du ridicule” !

“Sous l’apparence d’une pièce traditionnelle et sans histoire, George Dandin est une comédie fragile, incertaine, ouverte aux risques de l’interprétation et à la liberté des scénographes. Aucune lecture ne sera donc totalement satisfaisante.”

P. S. : J’ai donc abordé le George Dandin du CDN avec une lègère appréhension, mais l’esprit rempli de l’analyse si fine de Patrick Dandrey. Las ! J’ai vite déchanté devant la mise en scène kitschissime de M. Rodinson. La pièce est parasitée par des ajouts en principe hyper-modernes et outrageusement encombrants : sous des strates d’alluvions et détritus du quaternaire, on pouvait (enfin !) atteindre ça et là le filon de carbone pur : le texte de Molière.

1 commentaire:

  1. Cher monsieur Rodinson,

    Vous avez voulu tout naturellement tirer la pièce à vous alors que vous deviez vous y abandonner. Le metteur en scène doit se laisser faire. Il ne doit pas vouloir quelque chose de la pièce; il doit s'annuler; il doit être un parfait réceptacle. Un metteur en scène vaniteux, voulant imposer "sa personnalité", n'a pas la vocation d'un metteur en scène.Tandis que le métier d'auteur, au contraire, demande que celui-ci soit vaniteux, imperméable aux autres, avec un ego hypertrophié. Il peut y avoir crise du théâtre parce qu'il y a des metteurs en scène orgueilleux qui écrivent, eux, la pièce. Ce n'est pas parce qu'ils écrivent une pièce qu'il y a crise du théâtre, mais parce qu'ils écrivent tout le temps la même pièce, qui n'est pas celle de leur auteur. Il y a aussi le cas du metteur en scène qui trouve dans une certaine pièce des germes de qualités qu'il faut développer, des intentions qu'il faut préciser, des débuts de promesses qu'il faut réaliser; c'est, de la part du metteur en scène, le comble de la générosité… ou de l'orgueil s'il s'imagine que toutes les pièces qu'on lui présente lui sont inférieures. […] Il est plus naturel qu'un metteur en scène se soumette: dans cette soumission réside le véritable orgueil; tandis que le "je connais mon métier mieux que vous" du metteur en scène n'est que l'expression d'une vanité qui va à l'encontre de la vocation même du metteur en scène, qui est de "prendre en charge", ce qui signifie que son orgueil se situe à un second et plus subtil degré.

    Eugène Ionesco

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