mardi 10 décembre 2013

Libraires et librairies en Gaule romaine


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Le mardi 26 novembre les budistes venus en nombre ont été attirés à la fois par l’originalité du sujet :
Libraire et librairies en Gaule romaine
et par le renom du conférencier :
Robert BEDON professeur émérite à l’Université de Limoges

Dans sa présentation, le Président Alain Malissard, après avoir rappelé les travaux et publications de son invité (entre autres l’Atlas des villes et villages de France au passé romain), sans oublier son titre de Directeur de la revue Caesarodunum, a tenu à rendre hommage à un ami commun, Raymond Chevallier, disparu en 2004, professeur à la Faculté des Lettres de Tours  et connu notamment comme initiateur de l’archéologie aérienne en France (nous l’avions accueilli à Orléans par deux fois, en novembre 86 et en avril 89).

M. R. Bedon a déclaré en préambule avoir choisi un tel sujet en raison de sa nouveauté — parce que le territoire de la recherche était encore vierge, du fait de la rareté des sources au sujet de la Gaule. Dans un premier temps, il a dessiné un tableau de la présence du livre à Rome  dans l’empire, et aussi dans le monde hellénistique. Le livre — d’abord sous sa forme de “volumen” — est répandu chez les particuliers, puis dans les bibliothèques, privées ou publiques,  qui s’enrichissent par des dons ou des “recopiages”. On peut parler alors d’un véritable  activité professionnelle et donc d’un commerce du livre. Grâce à quelques mentions littéraires, dans Cicéron ou Aulu-Gelle, on connaît l’existence de “tabernae librariae” ou de “librariae”, qui jouent souvent à Rome un rôle de foyer culturel. En ce qui concerne la Gaule, si nous n’avons aucune indication précise sur les librairies, en revanche nous avons identifié les libraires. Au Ve siècle de notre ère, Sidoine Apollinaire les appelle “bybliopolae”, que nous traduisons par libraires. Pline le Jeune écrit dans une lettre adressée à un certain Geminus, alors gouverneur de la Lyonnaise : “Je ne pensais pas qu’il y eût des libraires à Lyon et qu’on y vendait “libellos meos” (“mes petits livres”, expression d’une évidente fausse modestie!)

R. Bedon a évoqué ensuite quelques pistes de recherche, comme l’archéologie, avec des photographies à l’appui. Témoin un des bas-reliefs de Neumagen (en aval d’“Augusta Trevirorum” = Trèves) aujourd’hui perdu, mais conservé dans un dessin du XVIIe qui représente un personnage rangeant dans des casiers des “volumina” (c'-a-d. des parchemins roulés) munis de “tituli” (des étiquettes). Document précieux, mais qui ne lève pas l’ambiguité : s’agit -il d’une bibliothèque ou d’une librairie ?  
         
Il propose alors d’interroger les textes : Horace (Odes, II,20), au siècle suivant, Martial (Epigrammes, passim) font état d’un commerce de librairie avec une rivalité entre Lyon et Vienne.  Il faut attendre le IVe siècle pour trouver à Bordeaux  une activité semblable avec la caution d’Ausone (310-395), maître de rhétorique, qui fut le précepteur de l’empereur Gratien. Au siècle suivant s’impose le nom de Sidoine Apollinaire (430-487) véritable écrivain officiel , panégyriste des empereurs, qui devint préfet de Rome en 468 et finit  comme évêque de la cité d’Augustonemetum, la future Clermont-Ferrand. Dans un texte datant de 465 ( Epistulae II,9) il parle d’“armaria exstructa bybliopolarum”, soit des hautes armoires des libraires, situées dans la salle de lecture de la villa d’un riche particulier près d’Alès. Un détail qui entretient la même ambiguité que dans les documents provenant de l’archéologie… D’ailleurs le statut du bybliopola a aussi sa part d’ambivalence : il est parfois traité de “mercennarius”,  voire  dans une autre lettre du même Sidoine Apollinaire, de “famulus”, un terme qui désigne le serviteur de la domus, ce qui impliquerait une condition d’affranchi. En réalité le bybliopola joue parfois le rôle d’éditeur ; il lui  arrive même de se déplacer à domicile. Ce qui est sûr, c’est que la plupart du temps il exerce un métier indépendant: il est vendeur de livres, et non copiste ni secrétaire.
          
Dans une dernière partie, R. Bedon s’est intéressé au public, c’est-à-dire aux utilisateurs de livres dans la Gaule romaine qu’on peut partager en trois groupes : ceux des bibliothèques privées, ceux des bibliothèques publiques, enfin le public des écoles. Dans le premier, qui appartient à une classe favorisée, une grande place est donnée aux ouvrages “classiques” grecs et latins (Homère côtoyant Virgile) On peut imaginer une telle bibliothèque dans les maisons cossues de Gaule, comme la villa maritime de la Rivière d’Etel dans le Morbihan- ce qui prouve que la romanité ne craignait pas la distance ! Un autre exemple: la très belle mosaïque représentant Métrodore le Jeune (un philosophe épicurien du IVe siècle avant notre ère)découverte à Autun. Cet “emblêma” révélait un propriétaire de grande culture, à moins qu’il ne s’agisse d’un parti-pris d’ostentation. Sénèque s’était déjà moqué de ces collectionneurs pour qui les livres ne servaient que de décor. Les bibliothèques publiques servaient aussi de lieux de rencontre pour les élites locales ; elles bénéficiaient souvent de généreuses donations, à la manière de celle que Pline le Jeune a faite à sa ville natale de Côme. Les vestiges conservés donnent une idée de ces monuments : ainsi à Nîmes, à la Fontaine — appelée à tort temple de Diane et à Avenches, l’Aventicum des Helvètes, près du lac de Neuchatel. Leur dispersion  laisse entendre que ces lieux de culture étaient fort répandus dans tout le monde romain. En revanche il reste peu de traces des boutiques des libraires dont certains n’avaient qu’une armoire près d’un pilier sous une  — ce qui les fait ressembler à nos bouquinistes des quais parisiens ; d’autres font penser aux colporteurs ambulants d’autrefois ; certains vendaient même des ouvrages d’occasion. Le livre, chez nos ancêtres les Gaulois, faisait l’objet d’une activité  — difficile à cerner du fait de la rareté des sources — mais bien réelle  et qui témoignait d’une vie intellectuelle authentique.

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