Le
jeudi 7 février le public était venu en nombre, sans doute curieux de
connaître l’image — réelle ou supposée — que nous Français, nous laissons
dans l’esprit de nos voisins allemands. Le conférencier était
Karl-Heinz GOETZE, essayiste et journaliste allemand, en même temps
professeur à l’Université de Provence. Dans sa présentation, Alain
MALISSARD a rappelé qu’il avait écrit plusieurs ouvrages sur la France,
dont le dernier : “Sûsses Frankreich” (douce France) a connu un grand
succès et qu’il était également un grand connaisseur de notre cuisine
et de notre gastronomie, ce qui l’a rendu tout de suite sympathique.
M. GOETZE a évoqué d’abord l’inquiétude récente des Allemands et qui se
traduit notamment dans la presse au sujet de l’avenir de notre pays. Le
discours est assez pessimiste en effet chez ceux qui résident en France,
que M. Götze connaît bien : tout en appréciant notre qualité de vie, ils
se demandent si notre pays dont l’économie décline, va “tenir le coup”
devant la mondialisation, lui qu’on qualifiait naguère de “grande
nation” et qui se réclamait de ses traditions. Ce discours alarmiste
tenu à notre égard n’est pas nouveau : il reprend des clichés qui auront
la vie dure comme celui du Français frivole ou peu travailleur par
rapport à ses voisins du Nord et de l’Est. Ces stéréotypes deviennent
même des mythes dès que l’on oublie l’évolution historique GOETZE ; il n’est de
ce fait plus question que d’une “essence” immuable propre à chaque
peuple européen.
M. GOETZE s’est alors demandé quelle était l’origine de ces modèles
d’interprétation et dans quelle mesure ils ont changé nos modes de
pensée . Dès le XVIe siècle, le lien a été fait entre le climat et le
caractère ethnique (d’ailleurs Tacite l’avait déjà noté dans La Germanie). La
Cour de Versailles, l’absolutisme royal, le style et la culture de
l’aristocratie française ont servi de modèle aux Allemands du XVIII° et
ce modèle perdure encore dans leur imaginaire…
À l’inverse, il lui a paru intéressant de considérer comment les
Français regardent les Allemands. Dans le passé, la question était sans
importance ; au début du XIXe Mme de Staël a fixé une image embellie de
l’intellectuel d’outre-Rhin à côté d’un “homo vulgaris” naïf, fruste,
voire grossier. Après la guerre de 70, apparaît l’image du Prussien
conquérant et hégémonique. L’Allemagne de Bismarck est devenue un pays
évolué… et dangereux ; la perception populaire va opposer pour longtemps
à cette nation dynamique, moderne, techniquement efficace, mais peu
démocratique à une France en stagnation, plutôt passéiste, mais attachée
au bien-être et au luxe. Cet antagonisme a été très bien illustré dans
le livre célèbre paru en 1930 de Friedrich Sieburg : Dieu est-il français ?”,
livre anti-français, avoue notre conférencier, mais subtilement et même
avec une pointe de nostalgie, car Sieburg laisse entendre que notre
civilisation “à la Gauloise” est vouée à la disparition…” C’est
justement ce qui ressort de l’impression des Allemands qui vivent chez
nous : on est bien en France, mais ce n’est peut-être qu’une illusion…
Après tout, puisque nous échangeons nos imaginaires…
À la suite de questions pertinentes posées par des budistes de qualité,
en particulier au sujet du livre récent de Guillaume Duval Made in Germany : le modèle allemand au-delà du mythe,
nous avons laissé à regret Karl-Heinz GOETZE, en souhaitant d’accueillir
encore “beaucoup d’étrangers comme lui, si proches, si lucides, si
critiques et si complices…”
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