lundi 22 décembre 2014

Pourquoi la France a-t-elle gagné la guerre de 1914 ?

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Ce samedi 18 octobre, la Section orléanaise de l'Association GUILLAUME BUDE recevait le Professeur Antoine PROST, bien connu à Orléans puisqu'il a enseigné l'Histoire contemporaine à l'Université et qu'il a été adjoint à l'Urbanisme dans la municipalité Sueur (1989-2001). Professeur à la Sorbonne, auteur de nombreux ouvrages sur les Anciens Combattants, la Grande Guerre ou l'Enseignement, il est aujourd'hui Président du Conseil scientifique de la Mission du Centenaire de la Guerre 14-18. Il avait accepté de répondre à la question « Pourquoi la France a-t-elle gagné la guerre de 1914 ? »

Ce n'est pas une question simple car si au départ, la représentation que civils et militaires ont de la guerre est celle de 1870, ce conflit est très différent. Il implique plusieurs nations et nécessite un engagement total des hommes, de la société et de l'économie. Aussi, dans le cheminement qui conduit à la victoire, Antoine PROST distingue trois phases : 
1. La guerre des poitrines.
2. La guerre des machines.
3. La guerre des civils.
Dans la première phase, la guerre a failli être courte, conformément au Plan Schliffen par lequel les Allemands comptaient régler le sort de la France en six semaines avant de se retourner contre les Russes. Mais Von Kluck n'a pas respecté la stratégie d'ensemble en infléchissant sa marche vers le sud-est alors que le Haut Commandement allemand à Luxembourg était trop loin de l'action. D'autre part, la résistance des soldats français a permis une retraite en bon ordre pendant que les Anglais, par leur présence dans le Nord, apportaient une contribution qui doit être remise en lumière. Enfin, alors que les Allemands avaient estimé que la mobilisation des Russes serait lente et durerait au moins un mois, les lignes ferroviaires stratégiques financées par les emprunts permirent des attaques sur le front de l'Est, obligeant les Allemands à prélever deux divisions à l'Ouest.

Aussi la bataille de la Marne se traduit par un siège réciproque de 700 km de long avec des défenses en profondeur rendant la percée impossible comme le démontreront les échecs de Champagne, de la Somme ou du Chemin des Dames. Le front allemand est bien organisé avec des tranchées bétonnées sur plusieurs lignes alors que le front français, mal organisé, comporte des aménagements succincts. Quand les Allemands attaquent, les Français sont en difficulté car leur artillerie est surclassée. Si le canon de 75 est bon, ils possèdent peu d'artillerie lourde à longue portée avant 1916. Les pertes sont considérables de part et d'autre, ce qui explique que les Allemands ont manqué d'hommes pour exploiter leurs succès de 1918, alors que les Français ont été secourus par 1 800 000 Américains et Canadiens.

Après le moment où la France ne peut opposer à l'attaque allemande que les poitrines de ses soldats, la guerre évolue vers une guerre industrielle. C'est l'époque de la guerre des machines. Il faut fabriquer en grande quantité des canons, des obus, des mitrailleuses, des fusils, des avions, des tanks pour épargner les vies humaines. Cela nécessite des matières premières pour un pays en partie occupé et qui doit compter sur les importations à organiser puis à répartir facilitées par une relative maîtrise des mers. Il faut aussi mobiliser une main d'oeuvre abondante ; ainsi en novembre 1918, il y avait 1 700 000 ouvriers dans les usines d'armement (480 000 militaires, 430 000 femmes, 427 000 civils, 133 000 jeunes, 100 000 étrangers comme des Chinois ou des Indiens, 60 000 gens des colonies). La présence des femmes est plus grande en France que dans les autres pays, déplacées du textile ou de la domesticité vers l'armement.

En Allemagne, le moins grand nombre de femmes à l'usine oblige à retirer 1 900 000 soldats du front et des erreurs de planification dans les grandes usines conduisent au gaspillage et à une diminution de la production d'acier.

La troisième phase, la guerre des civils concerne surtout le problème des rapports entre le pouvoir civil et le pouvoir militaire. En France, au début de la guerre, s'impose le pouvoir militaire grâce à la loi de 1849 sur l'état de siège lui conférant sur l'ensemble du territoire la police, l'ordre public, la censure. Et le départ du gouvernement pour Bordeaux semble accentuer cette emprise. Mais les crédits de guerre n'ont été votés que pour six mois et le Parlement en décembre 1914 ne les vote que pour six autres mois. Ainsi les séances de la Chambre et du Sénat reprennent, les commissions parlementaires fonctionnent, la vie parlementaire continue au long des sept gouvernements successifs. Le pouvoir civil s'exerce obligeant les militaires à accepter bien des mesures comme l'institution des permissions, la révision de jugements des tribunaux militaires, le développement de l'artillerie lourde. La République ne se révèle pas faible. L'administration joue son rôle avec efficacité (réquisition des chevaux, du fourrage, attribution du ravitaillement, du charbon, rationnement du pain, gestion des réfugiés, colis aux prisonniers, etc.) Toute une mobilisation philanthropique concourt à multiplier les infirmières.Et si les grèves sont réprimées par le ministre de l'Intérieur, le malaise social est géré avec souplesse.

En Allemagne, le pouvoir militaire ne cesse de s'imposer, fixant dès octobre 14 le prix des pommes de terre et du pain, déclenchant le marché noir et la pagaille administrative. Ce sont les militaires qui contrôlent de plus en plus le pouvoir politique, obtenant la tête du Chancelier Bethmann-Hollweg et choisissant le suivant. Les grèves sont durement réprimées et le blocus sévère engendre pénuries et injustices. Aussi la situation se dégrade t-elle, des bandes hantent villes et campagnes, les déserteurs se multiplient, entraînant le délitement de l'armée. À la militarisation croissante du côté allemand s'oppose le bon fonctionnement de l'administration du côté français, dans le cadre républicain.

Qui a donc gagné la guerre ? À la fois, les soldats, le matériel, les civils, les alliés, les empires coloniaux, la République.

Cette conférence a suscité de nombreuses questions élargies à l'ensemble du conflit, démontrant l'intérêt du public, venu nombreux et qui a manifesté par ses applaudissements nourris toute sa satisfaction.



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