dimanche 23 février 2014

Toutes les conférences de la BNF, en ligne

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Sur le site de la Bibliothèque Nationale de France (BNF), il est possible de voir, entendre ou réentendre les conférences données depuis la naissance de notre siècle (certaines remontent à 2001)En choisissant la recherche par thème sur la page "Toutes les conférences", neuf rubriques, bien alléchantes, nous sont proposées :

  • Arts de la scène, où figurent nos plus importants metteurs en scène, mais aussi une pièce (Cool Memories de Jean Baudrillard, mise en scène d'Arny Berry)    
  • Beaux-arts, trop courte
  • Histoire, beau panorama de l'histoire immédiate, George Semprun y apparaît… 
  • Littérature, évidemment la rubrique la plus fournie de la BNF
  • Musique, où concerts et conférences s'entremêlent
  • Numérique, l'avenir de l'écrit est questionné,  
  • Oulipo, ouvroir de littérature potentielle, voir aussi… 
  • Philosophie, de Derrida en 2001 à Edgar Morin en 2013, 
  • Science, des maths au climat, d'hier à demain
  • Société, de Lacan aux cités obscures.
À partir de la même page il est aussi possible de rechercher des conférences par intervenant ou par date…

Puisque nous sommes sur le site de la BNF, ne manquez pas la dernière exposition virtuelle, elle est consacrée au génial Gustave Doré, à l'occasion de l'exposition au musée d'Orsay du 18 février au 11 mai 2014.

Toutes les expositions virtuelles de la BNF.
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jeudi 13 février 2014

Héritages de Byzance…

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Monsieur Olivier DELOUIS, adhérent à notre association et chargé de recherche au Centre d'histoire et civilisation de Byzance (CNRS) nous prie de vous informer de la parution d’un ouvrage : Héritages de Byzance en Europe du Sud-Est à l’époque moderne et contemporaine par Olivier Delouis, Anne Couderc et Petre Guran, dans la collection Mondes Méditerranéens et Balkaniques 4, Athènes 2013. 522 p. ISBN 9 782869 582538. 69 €. Diffusion : De Boccard.

La civilisation byzantine a marqué durablement de son empreinte les hommes et les sociétés du Sud-Est de l’Europe. L’ambition de ce volume collectif est d’étudier, de façon comparée et grâce à des études de chercheurs de tous pays, l’histoire de la mémoire de Byzance dans cette région.

L’émission religieuse de France Culture Orthodoxie lui consacre, ce mois ci, deux émissions :
En cliquant sur l’image ci-dessus, vous pouvez lire le sommaire, l’introduction 
et les résumés des chapitres de ce livre… et mieux voir la couverture.
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lundi 10 février 2014

Claude Simon dans son siècle

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Ce jeudi 23 janvier, la section orléanaise de l’Association G. Budé avait tenu à honorer la mémoire d’un écrivain important, disparu depuis bientôt dix ans. Claude Simon, malgré la récompense du Prix Nobel de littérature en 1985, n’a pas trouvé son public, car il souffre encore de la réputation d’ésotérisme attribuée au Nouveau Roman, auquel on l’a rattaché par simplification. Il méritait donc une juste reconnaissance et l’on se devait de la confier à une spécialiste confirmée.

Mme Georgette Pastiaux - une familière de notre groupe budiste qui a enseigné les lettres au lycée Jean Zay d’Orléans et fut aussi chercheur à l’Institut National de la Recherche Pédagogique à Paris - a présenté la conférencière qu’elle connaît de longue date en tant que membre de “l’Association des Lecteurs de Claude Simon”. 

Cécile Yapaudjian-Labat et Georgette Pastiaux 

Cécile Yapaudjian-Labat, agrégée de lettres modernes, docteur ès lettres, a publié en 2010 une thèse sous le titre: Écriture, deuil & mélancolie: les derniers textes de Samuel Beckett, Robert Pinget & Claude Simon. À propos de ce dernier, auquel elle s’est particulièrement attachée, elle a cherché à corriger l’image d’un écrivain hermétique et purement formel dont on l’affuble, en soulignant les qualités d’observateur lucide de son époque ainsi que sa recherche méticuleuse d’une écriture originale qui brise le rythme linéaire de la narration tout en restituant “la dimension sensorielle” de la réalité.

Cécile Yapaudjian-Labat a d’emblée mis en lumière les éléments autobiographiques - plus ou moins apparents - dans l’œuvre de Claude Simon. “Tous mes romans, écrit-il en 1990, sont à base de mon vécu”. Ainsi dans L’acacia, il fait part de son appartenance à sa double ascendance, avec d’un côté le père athée, né d’un paysan jurassien, de l’autre la mère, bourgeoise ultra-catholique, issue d’une famille de riches propriétaires fonciers des Pyrénées orientales, deux lignées très dissemblables en apparence, mais unies par l’amour de la terre et du travail de la terre. Claude Simon suivra leur exemple: il s’installera en I945 dans le Roussillon, cultivant son domaine et publiant sa première œuvre (Le Tricheur), se disant lui-même, comme Lamartine, “à la fois vigneron et écrivain”. À vrai dire, il avait été tenté très jeune par la peinture. Il a d’ailleurs laissé une œuvre de peintre (et aussi de photographe) fort estimable, dont on trouve de nombreuses traces littéraires dans les romans qui illustrent son second thème majeur et obsessionnel : la guerre. Il en fera une première expérience dès 1932 à Barcelone, au milieu des républicains espagnols, ce qui constituera la trame de son 6e roman Palace (1962). L’ouvrage précédent La route des Flandres (1960) s’est nourri de sa vie de brigadier au 31e dragons, de ses souvenirs de la bataille des Ardennes de mai 40 et de la débâcle dans la boue où se débat son héros, le capitaine de Reixach. On retrouve cet épisode dans Les Géorgiques (1981) où Claude Simon, cavalier en déroute, joue son propre rôle, en parallèle avec deux personnages réels dans un autre espace-temps (à Barcelone en 1936, l’écrivain anglais George Orwell et en 1810 le général J.-P. Lacombe St Michel, ancêtre de Simon du côté maternel )

Afin de nous donner une vue d’ensemble de l’œuvre - abondante, puisque l’édition de la Pléiade compte plus de 25 ouvrages, notre guide a distingué quatre grandes périodes : la première va des débuts à la parution en 1957 de Le Vent, où se manifeste l’influence de Faulkner ; la 2° de 1958 ( Histoire) à 1967, période de recherche formelle et de refus des conventions romanesques, où il se rapproche du groupe d’écrivains autour de l’éditeur Jérôme Lindon et dont Nathalie Sarraute avec L’ère du soupçon a été pour un temps la théoricienne; la 3° commence avec La bataille de Pharsale (1969), dix années pendant lesquelles Simon privilégie le travail sur la langue, quitte à être jugé obscur, voire illisible ; au cours de la dernière étape, des Géorgiques au Tramway (2001) de la large fresque mêlant les époques au récit circonscrit et nourri des souvenirs d’enfance, la matière romanesque paraît se rétrécir au profit de l’autobiographie.

Cécile Yapaudjian-Labat a tenu ensuite à éclairer cette part intime que Claude Simon a révélé dans son œuvre et en premier son expérience des deuils. Une expérience présente tout au long de L’acacia où il rappelle la mort et la quête du père disparu au mois d’août 1914, tandis que la longue maladie de la mère constitue le cœur de la narration dans Le Tramway. Le deuil est pour lui en quelque sorte une “valeur familiale”. La mort rôde partout, indissociable de la guerre qui fait partie de son destin personnel, avec ses blessures comme l’humiliation de la défaite et la captivité. Mais la guerre est aussi pour lui “une réalité anthropologique” - autrement dit une création de l’homme ; elle se répète, toujours avec la même violence, comme un cataclysme naturel. Elle brouille tous les repères : pire, “elle remet en cause le statut de l’humain” ; les soldats sous la mitraille ne sont plus qu’une “masse informe et dérisoire.” Plus question d’honneur ni d’héroïsme ; les hommages aux morts sont qualifiés de “carnavalesque parodie”. D’autre part Claude Simon insiste sur la répétition cyclique du phénomène ; dans Les Géorgiques il met sur le même plan trois guerres, de l’époque napoléonienne à “la drôle de guerre” ; dans L’acacia, on passe sans cesse de 1914 à 1940 ou du père au fils ; dans Le Jardin des plantes, il montre le chaos de la dernière défaite et va même jusqu’à en accuser les responsables, politiques et militaires. Dans cette vision radicalement pessimiste du monde l’Histoire apparaît comme un monstre dévorateur anéantissant l’homme et ses valeurs, le réduisant même à un déchet, avec des images très dures, voire répugnantes.

Notre guide nous a alors invités à relire l’œuvre simonienne comme le constat d’une faillite de l’humanisme, au sens de la culture savante, des belles lettres avec leurs beaux modèles antiques, comme au sens plus large d’une philosophie érigeant la dignité de l’homme en valeur suprême. La réalité qui s’est imposée au cours du dernier conflit avec ses destructions - comme le bombardement de la bibliothèque de Leipzig a montré que la culture ne pouvait empêcher la dégradation de l’humain, qu’elle “n’était plus une garantie contre la barbarie”. Dans son Discours de Stockholm (10 décembre 1985), Claude Simon, reprenant la déclaration d’Adorno sur l’impossibilité d’écrire après la découverte des camps d’extermination, affirmait qu’ “Auschwitz est une rupture fondamentale de l’écriture, rendant tout discours humaniste simplement indécent”. En même temps il annonçait la proche disparition du roman traditionnel, de sa forme narrative linéaire ainsi que la mort définitive du modèle littéraire du XIXe, allant même jusqu’à considérer des ouvrages tels que La condition humaine ou Les Chemins de la liberté comme héritiers d’une “vision totalisante” et assimilés à des romans à thèse ou idéologiques. Cependant l’échec de l’humanisme ne doit pas entraîner pour autant le désintérêt pour l’Homme et même le plus humble, celui qui n’a plus la parole.

Dans une dernière partie Cécile Yapaudjian-Labat a défini le regard que l’écrivain Claude Simon pose sur son siècle, distinguant à vrai dire trois types de regard : celui d’abord qui enregistre le réel, un regard fragmenté traduisant la violence d’un monde “qui ne fait plus sens”, ensuite le regard créateur, qui redessine l’espace et le temps, pour tenter d’appréhender le monde, et en même temps un regard de peintre soucieux de rendre des formes ou des nuances fugaces, enfin le regard mélancolique, mais sans aucune nostalgie mièvre, un regard associé au désir, une sorte de pulsion difficile à contenir, traduisant un besoin de surmonter les angoisses et les bouleversements du siècle. Et de nous laisser l’image d’un Claude Simon façonné par les deuils et les événements de l’Histoire, adoptant une attitude critique devant la faillite des valeurs de la civilisation, dans un rapport ambigu avec le monde moderne qu’il transcende par l’écriture, comme dans cette scène emblématique du Jardin des Plantes où il décrit une femme en robe rose marchant dans les décombres du Berlin de 1945 avec une furieuse volonté de vivre…

P.S. : Claude Simon n’est pas un de mes auteurs familiers ; j’ai lu, il y a un certain temps “la route des Flandres” avec quelque effort, mais j’y ai reconnu un ton nouveau. Dans la galaxie du Nouveau Roman (bien que Simon en refuse l’étiquette) cette “Route des Flandres” était en bonne place, avec “le Planétarium” de N. Sarraute et peut-être “le Voyeur” de Robbe-Grillet, en réservant la palme de l’illisibilité et de l'ennui à “L’observatoire de Cannes” de Jean Ricardou, par ailleurs fort bon théoricien. Mais je dois avouer en toute sincérité que notre ambassadrice Cécile Yapaudjian-Labat m’a presque converti. Je vais relire Claude Simon avec “des yeux dessillés” , comme on dit chez les Chrétiens. Déjà la lecture du “Tramway” a fait modifier mon jugement. Et puis, savoir que Simon s’est penché sur les vignes, comme notre Alphonse, cela me le rend éminemment sympathique…
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