lundi 13 octobre 2014

Le patriotisme de Charles Péguy

.
Le jeudi 25 septembre à 17h à l’Auditorium du Musée des Beaux-Arts a eu lieu la traditionnelle séance de rentrée de la Section orléanaise de l’Association Guillaume-Budé. 

Jean Nivet a d’abord présenté les excuses de notre Président empêché pour un temps par la maladie. Alain Malissard a donc confié provisoirement ses tâches aux membres du bureau, en particulier à Nicole Laval-Turpin qui a accepté  d’assumer la charge de vice-présidente. Celle-ci a lu le message du Président - tout au regret de ne pouvoir être présent le jour où l’on fête ses 25 ans de présidence, mais assurant que « s’il avait manqué le début, il nous rejoindrait assez vite en cours de route… » Jean Nivet a repris alors la parole pour évoquer ce double anniversaire : les « noces d’argent » du Président et les 60 ans de présence budiste à Orléans. 


Et de rappeler les origines de notre association : un jour de juin 1953 (le 28 exactement) dans la cour de l’école de Tavers, à l’occasion de la commémoration de la naissance de Jules Lemaître, lors d’une conversation entre Jacques Boudet, alors professeur de khagne au Lycée Pothier et Germain Martin, directeur  régional de la Régie Renault, par ailleurs  humaniste convaincu ; l’événement a été officialisé un peu plus tard (en novembre  1954) lors d’une réunion salle Hardouineau, relaté dans la République du Centre sous la signature de Jack Chargelègue (devenu par la suite grand reporter à Paris-Match). Dés la constitution du premier Bureau qui réunissait  ceux qu’on appelle  « les Pères Fondateurs » : Mgr P. M. Brun, Lionel Marmin, Michel Adam, Georges Dalgues et Michel Raymond (récemment disparu), l’association faisait déjà preuve d’un dynamisme qui ne sera jamais démenti : en soixante années, 358 conférences, 55 excursions à thème littéraire, et depuis la présidence d’Alain Malissard, vingt grands voyages — jusqu’en Libye et en Egypte — ont été organisés. En somme, un bilan qu’on peut afficher avec quelque fierté…

Selon l’usage, il a été fait mention des activités de la dernière saison (laquelle avait débuté par une lecture à quatre voix — illustrée de nombreuses reproductions — intitulée  « Diderot et les peintres de son temps »), avant l’annonce du programme futur dont les dates sont fixées : 

  • le 18 octobre : Antoine Prost : « Pourquoi la France a gagné la Guerre de 14 ? », 
  • le 25 novembre : une Table Ronde sur le thème : « Penser la guerre, Ecrire la guerre » avec la participation de Florence Aubenas, Benoît Durieux, Eric Germain, Georges Malbrunot et Denis Pernot. 
  • le 13 décembre : Odon Vallet, historien des religions : « Le livre a-t-il encore un avenir ? », 
  • le 15 janvier 2015 : Michelle Perrot, professeur émérite à Paris VII : « Cellules et chambres », 
  • le 10 février : Bertrand Hauchecorne : « les mots et les maths », 
  • le 26 mars : Jean-Pierre Sueur : « Victor Hugo sénateur », 
  • le 9 avril : Anne Lauvergeon : « Innovation et humanisme ». 
Il faut ajouter qu’à l’occasion du 60e anniversaire, au cours du premier trimestre 2014, une « surprise » sera proposée à tous les budistes et sympathisants.


Nicole Laval-Turpin a inauguré ses nouvelles fonctions en présentant la première conférence de la Saison 2014/15  
Le patriotisme de Charles Péguy  
prononcée par Géraldi  LEROY, professeur émérite à l’Université d’Orléans, auteur de nombreux ouvrages sur l’auteur du Mystère de la charité de Jeanne d’Arc dont le dernier vient de  paraître chez Armand Colin sous le titre: Charles Péguy l’inclassable. 
D’emblée, Géraldi Leroy a intrigué ses auditeurs par une citation sur le « rire de guerre », qui témoigne d’un mépris du danger et redonne de l’espoir. Son auteur — bien oublié de nos jours — s’appelle Henri Lavedan, à peu près  contemporain de Péguy (d’une douzaine d’années plus âgé), orléanais lui aussi, mais farouchement antidreyfusard et chantre d’un patriotisme cocardier, de plus académicien très en vue : en un mot aux antipodes de notre écrivain engagé qui n’a rien d’un belliciste et n’envisage la guerre que comme défensive. L’ idée de revanche lui est étrangère ; il reste dans l’esprit d’un « nationalisme de gauche », avec des références aux révolutionnaires de 93. Il croit à une guerre juste et l’exprime dans Eve :
« Heureux ceux qui sont morts pour la terre charnelle,
Mais pourvu que ce fût pour une juste guerre… »

S’il manifeste une certaine allégresse au moment de la mobilisation, c’est qu’il a partagé les illusions d’une offensive de courte durée, sans mesurer l’ampleur du conflit, ni considérer sa dimension industrielle. Cependant son relatif optimisme ne lui a pas caché l’extrême tension provoquée par la crise de Tanger au printemps 1905 (comme en témoigne Notre Patrie publiée dans les Cahiers de la Quinzaine). Géraldi Leroy met à juste titre l’accent sur l’éducation patriotique qu’il a reçue à l’école annexe auprès des « hussards noirs de la République », une éducation reposant sur un concept messianique de la France érigée en arbitre et en défenseur de le liberté, et qu’il ne peut renier — difficile dans ce cas d’assumer un pacifisme serein. Devant le péril, il faut faire face, avec sang froid et courage, comme  Jeanne d’Arc ( dans la première version de 1912) qui assure que « pour éradiquer le mal, la prière ne suffit pas ! » La crise de 1905 a donc ravivé « la voix de mémoire », celle de l’école républicaine, et celle des lectures de l’enfance. Parmi celles-ci, le poème des Châtiments qui s’ouvre par cette envolée: « O soldats de l’an deux… » demeurera pour lui un exemple…

Dans la dernière partie de son propos, Géraldi Leroy s’est attaché à évoquer la façon dont le soldat Péguy a vécu la guerre, en particulier d’après la quarantaine de lettres envoyées du front, lettres aussi concises que discrètes sur l’existence quotidienne du combattant. Nous avons suivi son itinéraire depuis le jour de son enrôlement (le 4 août) jusqu’à son arrivée aux environs de Meaux, après une retraite pénible, exactement à Villeroy où sa compagnie reçoit  le 5 septembre l’ordre d’attaquer l’ennemi solidement installé sur les hauteurs de Montyon : une mission périlleuse, pour ne pas dire impossible. Le lieutenant Charles Péguy, resté debout après avoir protégé ses hommes, tombe d’une balle en plein front. Par cet acte de bravoure, voire de témérité, il a renoué avec la geste héroïque des révolutionnaires de 93, en même temps qu’il trouve une forme d’épanouissement dans ce sacrifice consenti - et peut-être même secrètement désiré…

Pour résumer la conclusion de G.Leroy, quitte à nous répéter, disons que l’attitude de Péguy n’a jamais été conquérante, ni belliciste. Ce qui est sûr, c’est qu’elle reflétait celle la majorité de ses contemporains, et surtout celle du peuple, et du peuple le plus humble, celui des paysans, vignerons et artisans du faubourg Bourgogne dont il se sentait si proche. Pour tous ces hommes, la tâche était toute simple : quand la Patrie était en danger, il fallait courir aux armes. Et c’est cet esprit qui a permis le sursaut de la bataille de la Marne et qui a donné la foi en la victoire. L’exemple de Péguy restera un modèle à suivre…


André LINGOIS

.