jeudi 21 mai 2015

Victor Hugo au Sénat

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Le mardi 28 mars, l’Association Guillaume-Budé a accueilli 

Jean-Pierre SUEUR
sénateur du Loiret

qui avait choisi d’évoquer la figure d’un illustre prédécesseur au cours d’une Conférence intitulée :

VICTOR HUGO AU SENAT 

Assurant l’intérim de la Présidence, Jean NIVET a remercié le conférencier, d’abord d’avoir répondu aussi vite à l’invitation d’Alain MALISSARD peu de temps avant sa disparition - unanimement déplorée - ensuite d’avoir choisi un sujet inédit, les dernières années de notre grand poète étant, somme toute, assez mal connues.

En préambule, J.-P. Sueur a rappelé que le Sénat avait commémoré le bi-centenaire de sa naissance en déclarant l’année 2002  : « Année Victor Hugo », affirmant, non sans fierté, que « pour le citoyen qui a une activité politique, la littérature est d’un grand secours. » Et d’évoquer l’ouvrage que Charles Péguy avait consacré à notre poète : Victor Marie Comte Hugo, où il fait un portrait sans indulgence qui commence par :

« Hugo, pair de France, membre de l’Institut était un faiseur, un politicien fini, pourri de politique. » Il ajoute : « Il avait admiré l’Empereur, aimé les rois; il avait été libéral, démocrate, républicain et socialiste. » Victor Hugo a effectivement beaucoup changé, mais en suivant le chemin inverse de nombreux personnages politiques (même actuels), c’est-à-dire de la droite vers la gauche. Entre 1845 et 1848, il fut très proche du roi Louis-Philippe, assumant même le rôle de confident. Il avait reçu de lui une grande marque de confiance : en effet le 23 avril 1845, il avait été élevé à la Pairie, ce qui lui valut des critiques plutôt acerbes de la part de la presse républicaine.

Victor Hugo tenait donc son rang dans une assemblée résolument conservatrice, lorsque trois événements le troublèrent profondément :

1°) le 5 juillet 1845, il fut surpris en flagrant délit d’adultère avec Léonie d’Aunet, épouse Biard (Elle sera l’héroïne de La fête chez Thérèse des Contemplations) ; faisant état de son immunité parlementaire, il échappa à la prison que n’évitera pas sa complice. Il en éprouva de vifs remords, mais il n’esquiva pas les brocards de la presse; le roi lui conseilla donc de voyager. En réalité il n’alla pas plus loin que chez sa chère et tolérante Juliette, en attendant que l’orage passe; ce qui lui valut le mot spirituel de Lamartine ». En France, on se relève de tout, même d’un canapé ! »

2°) le 22 février 1846, rue de Tournon, en face du Sénat, Hugo assiste à l’arrestation d’un jeune homme qui vient de voler une miche de pain, sous les yeux indifférents de la grande dame qui trône dans sa berline aux portières armoriées. Cette scène symbolique de l’aristocrate ignorant superbement « le spectre de la misère » est le signe annonciateur d’une « catastrophe inévitable »; elle lui inspirera le début des Misérables et, sur le plan social,va susciter de sa part la création d’une Commission d’enquête parlementaire sur les logements ouvriers.

3°) le 16 avril 1846, il est confronté à la question de la peine de mort à propos de l’affaire Lecomte, du nom du garde-forestier qui a tiré deux coups de feu sur le roi en forêt de Fontainebleau. La Chambre des Pairs — qui a fonction juridique — va juger l’homme comme régicide. L’écrivain plaide la folie avec éloquence, mais en pure perte. Et cet échec va le marquer profondément.

Victor Hugo, devant cette Chambre, qu’il juge réactionnaire « avec ses membres infatués, méprisants et gourmés » (sic) va prononcer quatre discours qui furent diversement appréciés, dont J.P.Sueur nous donnera de larges aperçus.

Le premier (en date du 19 mars 1846) traite de la Pologne un mois après le soulèvement de Cracovie, un très beau discours (qui fut assez mal reçu) où il défend la civilisation européenne menacée en souhaitant que « la France engage son ascendant moral et son autorité qu’elle a si légitimement acquise parmi les peuples »

Le 1er juin 1846, Hugo s’exprime sur « la consolidation et la défense du littoral » menacé par les tempêtes et en même temps sur la nécessité d’aménager le port du Hâvre- une intervention très écoutée annonçant la future écologie et prenant en compte le développement économique. Dans la foulée, il va proposer une loi d’ensemble pour « arrêter cette colossale démolition », avec des accents dignes de son roman Les travailleurs de la mer.

Le troisième discours prononcé le 14 juin 1847 porte sur le sort de la famille Bonaparte (et en particulier celui du prince Jérôme). Victor Hugo qui se veut du « parti des exilés et des proscrits » demande qu’on abroge la loi qui bannit à perpétuité du sol français la famille de Napoléon. Il souhaite que, pour la mémoire populaire, la gloire de l’Empire soit réhabilitée.

Le dernier discours - du 13 janvier 1848 - sur le Pape Pie IX- fit un fiasco et Hugo dut quitter la tribune sous les huées.. Disons que présenter ce Pape comme « l’auxiliaire suprême des hautes vérités sociales » et bénissant la Révolution française ne pouvait qu’attirer des protestations véhémentes de la part des républicains convaincus.

Dans la dernière partie de sa conférence, J.-P. Sueur a montré l’activité de Victor Hugo en tant que sénateur de la Seine, c’est-à-dire de 1876 jusqu’à sa mort le 22 mai 1885.Il avait été en effet élu le 30 mai 1876 et réélu le 8 janvier 1882. En ces dix dernières années, alors qu’il est une personnalité célèbre et respectée, il va s’exprimer également à quatre reprises. Le discours le plus élaboré — et où l’on retrouve la griffe du grand écrivain — est celui où il s’engage contre la dissolution de la Chambre des Députés proposée par Mac Mahon le 21 juin 1877. Hugo est persuasif et la dissolution refusée. Cela dit, le discours qui a le plus marqué les esprits est sans conteste celui du 22 mai 1876 où il intervient pour l’amnistie des Communards, avec des formules incisives comme celle-ci : « Il n’y a qu’un apaisement, c’est l’oubli. Et dans la langue politique, l’oubli s’appelle amnistie. Je la demande pleine et entière. Sans conditions. Sans restrictions. » il aurait pu s’arrêter là, mais son goût pour la polémique l’emporte. Et de mettre en parallèle deux situations: celle de la France après le coup d’Etat du 2 décembre 1851 où « un homme commet un véritable crime contre le peuple », et celle du 18 mars 1871 où « une ville assiégée sauve l’honneur d’une nation ».


Il va conclure par une comparaison entre deux formes de représailles : d’une part en 1851 la fusillade du Boulevard Montmartre, de l’autre l’inexorable répression de la Commune. Hugo ne sera pas entendu. Dix sénateurs seulement voteront l’amnistie.

Cependant il ne désarme pas et revient à la charge, d’abord lors de la séance du 28 février 1879, puis le 3 juillet 1881: c’est son 3° discours pour l’amnistie, en même temps qu’il songe aux préparatifs de la fête du 14 juillet, une fête « qui doit commémorer la chute de toutes les bastilles, la fin de tous les esclavages… »

J.-P. Sueur a rappelé les dernières paroles de Hugo au Sénat et lu ses dernières notes consignées dans Choses vues avant de conclure par un souvenir plus personnel : lors des visites qu’il accompagne au Sénat, il tient à montrer la place qu’occupait notre poète, c’est-à-dire la troisième au deuxième rang. C’est de ce fauteuil qu’il est parti à la tribune pour défendre toutes ces nobles causes : l’abolition de l’esclavage, l’abolition de la peine de mort, le vote des femmes, l’institution de l’école laïque et obligatoire, la monnaie unique, les Etats-Unis d’Europe…
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