mardi 17 novembre 2015

La ville du futur à l’aune du réchauffement climatique – Vers une vision humaniste des projets.


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L'association Guillaume Budé Orléans s'est jointe à l'agence d'urbanisme de l'agglomération orléanaise pour proposer une table ronde avec :
  • Vincent Viguié, physicien spécialiste du climat
  • Anne Pons, architecte urbaniste
  • Patrick Lagadec, spécialiste des gestions de crise
Elle aura lieu lundi 23 Novembre 2015 à 19h15, à la salle Canopé (ex-CRDP), 55 rue Notre Dame de Recouvrance à Orléans

Le réchauffement climatique que, personne ne conteste aujourd’hui, a et aura des répercussions plus ou moins importantes et engendrera des phénomènes plus ou moins visibles selon notre implantation géographique. Les climatologues nous alertent. Nos politiques prennent la mesure des conséquences d’une hypothèse d’une population atteignant 10 milliards d’habitants en 2050 (contre 7.3 milliards en 2015) et les scientifiques prônent à l’échelle de la France de diviser par 4 l’émission des gaz à effets de serre afin de limiter les dégâts.

Depuis 50 ans la ville traditionnelle s’est enveloppée d’une ville diffuse exigeante du point de vue des moyens de locomotion entre habitat et emploi, consommant le sol comme denrée de première nécessité. Les urbanistes ont traduit les injonctions des climatologues en propositions concrètes dans les documents de planification, sous forme de mesures limitant l’étalement urbain, favorisant les transports collectifs ou le covoiturage, l’insertion de la nature en ville limitant les îlots de chaleur. Mais ces mesures, plus ou suivies d’effets, suffiront-elles au vu des disparités comportementales à l’échelle mondiale ?

Nos responsabilités collective et individuelle sont engagées mais avons-nous réellement conscience de ce qui nous attend à l’horizon 2050 en terme de répercussion sur nos modes de vie ? Sommes-nous capables d’appréhender les conséquences des effets du climat et les implications que va nous demander cette transition ? Comment allons-nous gérer dans nos vies le changement ?



La table ronde réunira trois points de vue :

Celui du climatologue représenté par Vincent Viguier, physicien formé à l’Ecole normale supérieure de Lyon. Il expliquera les effets du climat dans notre région actuellement tempéré et les changements à venir.

Celui de l’urbaniste représenté par Anne Pons, architecte-urbaniste à Strasbourg, qui parlera de l’analyse des enjeux et des difficultés à positionner le curseur entre intérêt général, propriété individuelle et écologie des modes de vie.

Celui du philosophe, Patrick Lagadec, directeur de recherche honoraire à l’Ecole polytechnique, spécialiste des gestions de crises et qui appréhende les notions de conscience, d’éducation, d’engagement, de responsabilité et d’acceptation de la crise qui nous transformera très profondément dans nos modes de vie mais surtout dans nos modes de pensée.

mercredi 4 novembre 2015

L'histoire de la magie, une nouvelle discipline ?

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Budé reçoit Leslie Villiaume, une jeune doctorante (Paris-1) originaire de Meung-sur-Loire et ancienne élève du lycée Pothier. Elle prépare une thèse sur un sujet neuf et original « La prestidigitation en Europe au XIXe siècle ». Prestidigitatrice elle-même (tours de cartes), elle ne s'intéresse qu'à la magie blanche et propose de répondre à la question : « L'histoire de la magie, une nouvelle discipline ? ».


Elle précise d'abord qu'il existe un « patrimoine magique » auquel l'UNESCO donne ses lettres de noblesse en encourageant à sa conservation, à sa protection et à sa transmission exactement comme pour l'histoire de la photo ou du cinéma. Un lieu comme la Maison de la Magie à Blois répond tout à fait à cette mission. D'autre part, une « communauté magique » s'est constituée au XVIe à partir du « Prévost » (1584) premier ouvrage traitant de magie et mettant fin à une transmission qui était auparavant uniquement orale. Et depuis 1903, des Journées de Rencontre ont lieu tous les trois ans, réunissant le gratin de la profession tandis qu'une Revue de la prestidigitation assure la liaison entre les membres.

Tout en soulignant que le secret qui entoure les prestations en rend l'histoire difficile, la conférencière insiste sur l'abondance des sources. Photos de la Maison de Blois à l'appui, elle détaille : les Mémoires comme ceux de Robert Houdin (1868), les affiches de spectacles, les appareils truqués comme l'horloge du même Houdin, des automates et divers objets. Il existe peu d'autres lieux identiques et il y a eu très peu d'expositions (une cependant sur Méliès). Si la BNF ne possède que peu de livres spécialisés, par contre, les collections privées sont riches d'ouvrages allant de la Renaissance à nos jours et un Américain possède 10 000 documents dont la moitié en français. Tout cela permet une étude des magiciens eux-mêmes, de leurs tours, de leurs spectacles, de leurs déplacements et de l'évolution de leur art. Des enquêtes peuvent être menées mais seulement sous serment de secret (en dehors des trucs du XIX° siècle qui peuvent être dévoilés quand c'est possible).




Pour montrer l'intérêt de ce nouveau champ d'étude, la conférencière souligne que les liens entre Science et Magie sont étroits dès le XVIIe. Ainsi Robert Houdin pratique une physique amusante et correspond avec la communauté scientifique de son époque. Le symbole de ces contacts est l'automate. Certains magiciens (Robin) conçoivent leurs tours comme une vulgarisation des sciences et donc comme un enseignement. Mais d'autres comme Mesmer (1734-1815) manifestent la volonté de faire croire à des pouvoirs surnaturels ou tel Davenport (1865) se présentent comme médium pour le spiritisme ou la lecture dans la pensée. D'où le risque de charlatanisme pour tromper et soumettre le spectateur et non plus le divertir.

En conclusion, L. Villiaume insiste sur les difficultés d'accès à certaines sources car la transmission s'effectue entre initiés. Mais, exerçant elle-même, cela lui facilite les contacts, les enquêtes et tout ce qui est travail de terrain. Car pour mener à bien sa thèse, il est nécessaire d'avoir « l'esprit magique ». Au total, l'histoire de la magie, si elle n'est pas une nouvelle discipline, terme trop fort à mon sens, représente au moins un nouveau champ d'investigation prometteur.



Ensuite, la jeune conférencière répond avec vivacité et clarté aux questions qui lui sont posées comme la magie chez Harry Potter (une « magie de pouvoir ») ou les liens qui peuvent apparaître avec le théâtre ou le cinéma qu'elle pratique aussi elle-même (documentaires sur le Bénin et sur Le Caire). Ce dernier parallèle lui permet d'achever sa prestation en mettant en exergue que dans ces formes d'art, de même qu'avec la magie, on fabrique du faux pour traduire le vrai et pour produire une émotion. Applaudissements chaleureux. 

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lundi 2 novembre 2015

Entretien avec l’écrivain Yannick HAENEL

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C’est à notre Vice-Président Jean NIVET que revenait l’honneur d’ouvrir la séance de rentrée – la 62e depuis la fondation en 1954 — ainsi que de présenter au public le nouveau Président de la Section locale de l’Association Guillaume-Budé, élu à l’unanimité par le Bureau : Bertrand HAUCHECORNE.


Jean Nivet a rappelé à cette occasion le rôle qu’avait joué dans la vie culturelle orléanaise son père, François Hauchecorne, Conservateur de la Bibliothèque d’Orléans disparu en 1981, avec qui il avait eu le privilège et le plaisir de travailler dans le cadre de la Société Archéologique. Très ému, Bertrand Hauchecorne a exprimé d’abord une légitime appréhension (car « succéder à un Président tel qu’Alain Malissard est une lourde tâche »), mais en même temps une certaine confiance, se sachant secondé par une équipe active et soudée, fidèle à l’esprit budiste, nourrie de la sagesse antique tout en étant ouverte à la culture vivante et novatrice.



Selon la tradition, Jean Nivet a, en premier lieu, résumé les activités de la saison écoulée: sept conférences (dont les deux dernières : « Victor Hugo sénateur » par Jean-Pierre Sueur et « Innovation et Humanisme » par Anne Lauvergeon ont connu une belle affluence), une Table Ronde sur la guerre animée par Lucien Giraudo, professeur au Lycée Pothier, intitulée : « Penser la guerre, écrire la guerre », réunissant Florence Aubenas, Eric Germain, Georges Malbrunot et Eric Pernot, une séance de lectures, en hommage à Alain Malissard : « Scandales à Rome : Cicéron monte à la tribune », mise en scène par l’acteur Xavier Gallais.

En somme une riche année, clôturée par un Voyage du 2 au 4 juin : « En Lorraine avec les écrivains en guerre » (Louis Pergaud, Jules Romains, Maurice Genevoix, Alain-Fournier, Maurice Barrès), voyage qui a mené les participants du moulin de Valmy à la colline de Sion-Vaudémont avec une longue et fructueuse halte à Nancy.

Notre vice-président a ensuite évoqué à grands traits le programme de la saison future :
  • 15 octobre : Histoire de la magie: une nouvelle discipline ? par Leslie Vuillaume, doctorante à l’Université de Paris I ;
  • 17 novembre : Autour du mythe de Tristan et Iseut, par Frédéric Boyer, écrivain ;
  • 10 décembre : Familles composées, décomposées et recomposées, par Christian de Montlibert, sociologue, professeur émérite à Strasbourg II ;
  • 14 janvier 2016 : Un historien gaulois, Trogue Pompée, une vision singulière de l’Histoire, par Bernard Mineo, professeur à l’Université de Nantes ;
  • 4 février : Quelques femmes dans la vie de Giuseppe Verdi, par Yveline Couf, professeur, membre de la Soc. des Amis de Verdi ;
  • 24 mars : Danse et musique dans le théâtre au début de l’Empire romain, par Florence Dupont, prof. émérite à Paris VII ;
  • 19 avril : Y a-t-il une tradition républicaine ? par Mona Ozouf, historienne, directrice de recherche au CNRS ;
  • en mai/juin : Excursion littéraire « une journée en Indre-et-Loire ». Descartes et ses trois René (Descartes, Boylesve, Buxeuil). Richelieu (modèle d’urbanisme du XVIIe siècle), le château de Touffou, demeure de Jean Chasteigner, compagnon d’armes de François Ier.


La parole a été alors confiée à Nicole Laval-Turpin qui avait la tâche de présenter notre invité : Yannick Haenel, un écrivain de 48 ans, à l’allure d’éternel jeune homme. Retraçant les grandes lignes de l’œuvre déjà abondante d’un auteur qui suscite la curiosité, voire la discussion, elle a cité son premier livre, en grande partie autobiographique Les Petits Soldats (1996), puis évoqué la polémique autour de Jan Karski (2009) – dont le CDN avait monté avec succès une adaptation du roman qui, par ailleurs, avait essuyé les feux d’une sévère critique de la part de Claude Lanzmann (à qui elle a répondu vertement en défendant le droit à la fiction comme une nécessité) avant d’aborder le vif du suite : un entretien autour de son dernier ouvrage : « Je cherche l’Italie », un entretien mené par Catherine Malissard, très attentive et soucieuse de poser les bonnes questions. 





La plus délicate portait sur la raison invoquée par Yannnick Haenel de sa décision, prise il y a quatre ans, de s’installer à Florence avec femme et enfant pour « faire le point ».

Lectures à l’appui, Il l’explique d’abord par « un besoin de faire une pause dans une existence qui va trop vite », par le désir de trouver dans l’Italie « un hâvre qui l’accueille », et aussi de réaliser un rêve de jeunesse : avoir tout son temps pour jouir des œuvres d’art. Ce rêve va perdurer : pendant quatre années, il se veut disponible à l’écoute de la vraie mémoire qui est celle de l’art. « Faire le point » permet de réunir tous les siècles en un même temps et surtout de s’opposer à l’inessentiel – et en 2011 l’inessentiel se confondait avec la politique, cette politique qui s’incarnait alors en Italie dans le sourire arrogant de Berlusconi affiché ostensiblement dans tous les médias, un sourire « qui éclaboussait Florence », et, en réalité masquait le drame humain symbolisé par la rencontre avec un immigré sénégalais vendeur à la sauvette devant le palais des Médicis.




Comment réagir face à ce mélange de beauté, de détresse et de vulgarité ? Yannick Haenel parle de « résistance intime », et de ses outils qui sont la solitude, le silence, la contemplation du beau ; il est à la « quête des éblouissements, des extases, des illuminations ». L’écriture a le pouvoir de créer ce lieu de résistance, ce « territoire qu’on porte en soi » et qui vous rend la liberté – et c’est là une des constantes dans toute l’œuvre de Yannick Haenel.

Dans un long échange, sur le ton de la conversation la plus amicale, Yannick Haenel a évoqué, entre autres, son admiration pour saint François qui a réussi à satisfaire à la fois son désir de solitude et son aspiration à la vie communautaire, et qui est, à ses yeux, le héros d’une aventure de l’esprit et, en même temps, une conscience politique. Et aujourd’hui, cette conscience politique ne peut oublier la tragédie qui se joue au large des côtes italiennes. « Il y a eu trois cents morts à Lampedusa et presque personne n’en a parlé. Cela m’obsède… Depuis, il y a eu un millier de morts en un an. Lampedusa est le nom d’une infamie. Le roman tourne autour de ce mot. 




Je cherche l’Italie dénonce la barbarie de notre monde, mais aussi construit en quelque sorte un barrage contre le mensonge de « la langue de bois » des politiques et de la propagande ». La question que pose mon livre est : y a-t-il de l’indemne, du non-damné ? Il y a l’amour, bien sûr ; il y a aussi l’art, les œuvres les plus vieilles que je passais mon temps à visiter, car elles constituent un moment vivable dans l’invivable… (…) Un point en soi, où la société dans ce qu’elle a de pire n’a pas de prise sur nous.

À la fin de cet échange, les participants ont relancé le débat, notamment à propos du « château de la parole » (l’énigmatique Castel del Monte). Il restait à Yannick Haenel de nous faire revivre son ultime joie : assister, seul au couvent de San Marco, à l’aube naissante, devant l’Annonciation de Fra Angelico, lorsque le rayon lumineux est venu frapper le ventre de la Vierge. C’était le 25 mars, jour de l’Annonciation…
« Ce matin-là, dit-il, j’ai trouvé l’Italie… » 



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