mercredi 12 octobre 2016

L'humaniste et le prince : Guillaume Budé et François 1er

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C'est le jour de rentrée de notre section orléanaise et le Président BERTRAND HAUCHECORNE, comme il est de tradition, fait retour sur l'année écoulée et présente le programme de la saison 2016-2017 en détaillant les 7 conférences (auxquelles il faut ajouter une 8e le 4 mai avec François Noudelmann), les 2 entretiens, les 2 sorties à Paris (Les Damnés de Visconti) et en Puisaye (Colette) et le voyage en Croatie de septembre 2017. Il évoque aussi le partenariat noué avec la mairie d'Orléans pour les « Voix d'Orléans », cette année consacrées aux « Frontières ».

La parole est alors donnée à Sylvie LE CLECH, Directrice régionale des Affaires culturelles de la Région Centre-Val de Loire pour une conférence sur :

« L'HUMANISTE ET LE PRINCE : 
GUILLAUME BUDE ET FRANÇOIS 1er »

Guillaume Budé (1467-1540) connu surtout pour sa fécondité intellectuelle et son travail d'érudition, devient grâce à elle un homme de chair et de sang, au sein d'une grande famille (le père Jean Budé, conseiller royal, les nombreux frères et sœurs, ses 14 enfants), bien insérée dans le milieu de la noblesse récente et capable par sa culture d'arriver à une belle position auprès du roi. L'origine est modeste, celle d'un négociant de Tonnerre, chargé d'approvisionner la capitale en vin de Bourgogne. Le château fortifié d'Yerres (91), sa demeure, traduit une certaine aisance, mais non la fortune. En homme de son temps, à la charnière du Moyen Âge et du « Beau XVIe siècle », les solidarités familiales comptent beaucoup pour la recherche des places et des mariages avantageux et Budé s'occupe particulièrement des enfants de son frère aîné qu'il admire.

Sylvie Le Clech introduit aussi le personnage dans l'entourage royal, en laïc qui œuvre en dehors de l'Université de l'époque (il n'aurait rien appris à l'Université d'Orléans !). Il entretient une correspondance abondante avec une trentaine de personnes dont les humanistes Érasme, conseiller de Charles Quint, Thomas More, chancelier d'Henri VIII et l'Orléanais Étienne Dolet. Par ses fonctions auprès du roi, il côtoie le pouvoir au sein d'une Cour fastueuse mais peu cultivée et où les luttes d'influence sont féroces entre clientèles. Aussi milite-t-il pour la transmission du savoir et l'amélioration du niveau culturel. Il lui faut aussi suivre le roi en ses déplacements, ce qui l'épuise et l'empêche de travailler. 

À partir des frontispices de cinq ouvrages, nous sommes entraînés dans l'œuvre écrite de Budé. 

« L'Epitome de Asse » (1522), premier livre édité en français et « en poche », traite des monnaies antiques et montre que le travail de présentation est très soigné (mise en page, choix des caractères, vignettes) car Budé comme les humanistes est persuadé que si la forme est bonne le fond est bon. En supprimant les gloses qui encombrent alors les textes, il veut parvenir à l'authenticité première.  

Avec le « De Philologia » de 1533, nous touchons à la base du savoir humaniste, l'origine des mots, nécessaire à une expression correcte et à une pensée authentique. Budé a peu produit en français, il préfère écrire en latin ou en grec.  

« De studio litterarum » de 1533 est un manuel pour pédagogues afin de leur apprendre le bon langage, le bon latin, « les belles lettres ».

Le livre « De l'institution du prince » est destiné à conseiller le roi dans la tradition des éducations royales. Autrefois, c'était le rôle des confesseurs. Toute sa vie, le roi doit apprendre, notamment de ses conseillers les plus âgés. Sous forme de dialogue, l'ouvrage eut un grand succès. Budé en faisait la lecture à François 1er et bataillait pour la création du Collège des lecteurs royaux (auj. Collège de France) où seraient enseignés le latin, le grec et l'hébreu. Il est aussi chargé de la Bibliothèque royale et travaille avec la famille Estienne pour l'édition d'un dictionnaire de grec.

Dans les « Commentaires de la langue grecque » de 1529, Budé pense que c'est « la langue la plus juste »et combat pour la reconnaissance des œuvres dites païennes par les théologiens. Il veut les mettre sur un pied d'égalité avec les sources chrétiennes. Car pour lui, le christianisme s'est nourri de la pensée grecque. Le savoir est allé d'Athènes à Rome puis vers l'Europe et Paris, de l'Orient vers l'Occident. Il peut donc construire l'image d'un savoir national et montrer François 1er comme le souverain le plus puissant d'Europe au moins égal à l'empereur Charles Quint. Il met aussi en valeur les caractères nationaux de l'art français.

En conclusion, Sylvie Le Clech fait de Guillaume Budé le père des intellectuels modernes, reconnu par le pouvoir en place, au cœur d'un microcosme de collègues et de conseillers des autres souverains. Sa politique, la transmission du savoir, est au début d'un processus qui aboutit à la création des Académies au XVIIe siècle. Ce qui n'exclut pas une forme de souffrance dans les relations avec le pouvoir et démontre la nécessité d'institutions qui protègent l'intellectuel.

La conférencière est vivement applaudie pour la clarté et la richesse de son exposé. Elle répond à quelques questions.

  • Sur Budé et la Réforme. On ne sait rien de ses sentiments sur la religion, mais il a fait allusion aux « Politiques », ces hommes qui ont choisi le protestantisme puis sont revenus dans le giron de l'Église. D'autre part, dans son testament de 1536, il désire être enterré de nuit, ce qui peut être un signe, mais aussi une forme d'humilité et la volonté d'imiter le Christ. Certaines de ses filles deviennent religieuses, mais sa veuve très lettrée (elle correspond avec Calvin) et quatre de ses enfants iront s'établir à Genève après sa mort. Sans le dire par prudence, était-il lui-même protestant ?
  • Sur la correspondance avec Érasme, malgré leur mutuelle admiration, l'entente entre les deux conseillers n'a pas été parfaite. Il y eut même une brouille liée peut-être au succès éditorial d'Érasme et donc à une certaine jalousie de Budé. Il y avait aussi toute la différence de vision entre le moine et le père de famille nombreuse. 
  • Sur la politique artistique de François 1er, Mme Le Clech prenant l'exemple de Fontainebleau montre que la peinture a les faveurs du roi qui multiplie les commandes officielles parce que cela participe de sa grandeur. Mais les hommes de lettres sont beaucoup moins considérés même s'ils constituent l'ornement d'une petite cour et ils ne reçoivent pas de commandes. Au contraire, l'art peut redresser l'image d'un royaume un temps menacé.
  • Sur les raisons qui l'ont amenée à s'intéresser à Budé, elle évoque sa thèse d'histoire concernant les secrétaires royaux : elle a trouvé beaucoup d'informations sur lui, a eu accès à sa correspondance et à ses épîtres dédicatoires. De nombreux secrétaires le connaissaient et l'admiraient. À travers cet important personnage, les relations entre les intellectuels et le pouvoir avaient une résonance très moderne et on voyait comment une élite militait pour une vulgarisation du savoir.
Le public pouvait alors quitter la salle en ayant, grâce à Mme Le Clech, une vision plus précise de l'humaniste tutélaire de notre association.  
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