lundi 22 février 2016

Edition aux "Belles Lettres" de deux traités d'Adélard de Bath

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Nous signalons que notre collègue Emila Ndiaye a participé, avec Max Lejbowicz (†) et Christiane Dussourt, à la traduction et au commentaire du texte établi par Charles Burnett de deux traités d’Adélard de Bath. Cet ouvrage vient de paraître aux “Belles Lettres”, collection ALMA (Auteurs Latins du Moyen-Age) : Adelardus Bathoniensis, De eodem et diverso et Questiones naturales, Les Belles Lettres, 2015,  55 €.

Adelardus  est né dans le Sommerset vers 1080. Il a parachevé ses études à Tours, puis il est parti en Sicile et, après avoir enseigné quelque temps à Bath, il s'est rendu dans la principauté d’Antioche.
Il est l’auteur de la plus ancienne traduction en latin de la version arabe des Eléments d’Euclide (Geometrica), qui lança de nombreux chercheurs occidentaux dans les spéculations géométriques.

Dans le De eodem et diverso, L'Un et le divers (c. 1110), Adélard présente une vision qu'il a eue un soir à Tours : en réponse à Philocosmie qui lui vante les plaisirs mondains (richesse, puissance, dignité, renommée, volupté), Philosophie fait l'éloge de l'étude et de ses suivantes, personnifications des sept arts libéraux (Grammaire, Rhétorique, Dialectique, Artithmétique, Musique, Géométrie et Astronomie).

Les Questiones naturales (c. 1120) sont un dialogue dans lequel son neveu pose une série de 76 questions portant sur la botanique, la zoologie, l'homme, la terre et les phénomènes météorologiques et astronomiques. Adélard y répond "avec la raison pour guide", telle qu'il l'a trouvée auprès des “magistri Arabici”, au lieu de suivre "le licou de l'autorité" des “studia Gallica”. 

À ces deux dialogues d’Adélard l'éditeur a joint une classification des sciences du XIIe siècle, anonyme, qui commence par Ut testatur Ergaphalau… Ce texte permet d’inscrire les intérêts intellectuels d’Adélard dans le mouvement des idées de son temps.
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jeudi 18 février 2016

Trogue-Pompée, un historien gaulois

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Le jeudi 14 janvier 2016, a été invité Bernard MINEO, professeur de langue et littérature latines à l’Université de Nantes, qui a présenté un auteur peu connu du public, même éclairé : TROGUE-POMPÉE : un historien gaulois.

Jean Nivet, en présentant le conférencier, a rappelé ses travaux sur Tite-Live (dont Tite-Live et l’histoire de Rome (Paris, Klincksieck, 2006) et, plus récemment, en collaboration avec T. Piel, Et Rome devint une République) ainsi que l’édition en cours de l’Abrégé des Histoires philippiques de Trogue-Pompée par Justin dont l’œuvre originale, une histoire universelle rédigée en 44 livres, fort célèbre dans l’Antiquité, avait été perdue dès l’époque de Constantin.     

D’emblée, B. Mineo nous met en garde contre le témoignage de ce Marcus Junianus Justinus qui a rédigé cet abrégé vers la fin du IIIe siècle de notre ère, en donnant une image altérée de son modèle : il a, en particulier, insisté sur les scandales de l’époque d’Auguste, en passant sous silence les implications politiques et surtout en lui prêtant des sentiments de haine à l’égard de Rome, allégation fausse et, de plus, invraisemblable. Trogue-Pompée – sur lequel, il est vrai, les témoignages sont rares et souvent contradictoires – est issu du territoire des Voconces (ce qui correspond à la Drôme actuelle) promu civitas à la fin du Ier siècle av. J.-C., dont le chef-lieu était Vasio – auj. Vaison-la-Romaine. Il a vécu à l’époque d’Auguste et des premières années de Tibère. Étant le fils d’un secrétaire de César et le petit-fils d’un Gaulois fait citoyen romain par Pompée, il ne pouvait être hostile à Rome. Il était, d’autre part, nourri de culture grecque ; il avait eu l’ambition d’écrire l’histoire de la monarchie macédonienne à partir de Philippe II, ainsi que de toutes les nations ayant eu rapport avec la Macédoine, (d’où les nombreuses digressions) en prenant comme modèle les Philippiques, ouvrage de Théopompe, élève d’Isocrate.

Dans la Rome impériale, cette histoire a dû éveiller certaines résonances, l’appellation de philippique évoquant une diatribe contre la tyrannie et l’on pense aussitôt aux discours virulents de Cicéron contre Marc-Antoine. On peut noter aussi une similitude de points de vue entre Trogue-Pompée et Tite-Live: tous deux représentent une Italie morale face à un Orient corrupteur et annoncent le déclin d’une Rome ayant hérité des richesses de l’Asie, mais aussi de ses vices. Il faut également rappeler l’importance de la bataille de Philippes (- 42) en Macédoine orientale : cet événement emblématique marque non seulement la déroute des Républicains, mais surtout le début de l’écroulement du monde hellénistique qui va s’achever dix ans plus tard à la victoire navale d’Actium ( en 31 av. JC ) sur les flottes de  Marc-Antoine et de Cléopâtre.

Le thème récurrent de la décadence de Rome est lié à celui de l’hégémonie croissante du royaume des Parthes ; Trogue-Pompée attribue le cours des événements à la Fortune (ou la Tyché grecque) et construit son histoire à partir de deux épisodes situés symétriquement en vis-à-vis : à l’est, en Asie Mineure, avec la victoire sur Pacorus I°, roi associé des Parthes, et à l’ouest, en Espagne, avec l’occupation du pays des Cantabres par Agrippa. Il met en lumière le partage du monde méditerranéen entre deux empires rivaux, ayant conscience qu’une nouvelle ère commence, et que Rome, sous l’impulsion d’Auguste, va retrouver sa « virtus », ses succès, sa protection divine, voire son destin exceptionnel. Notre Gaulois né au pays des Voconces  est bien un incorrigible optimiste! 

L’assistance a spontanément applaudi M. Bernard Mineo, le félicitant d’avoir fait revivre une figure originale d’historien, un des premiers exemples de ce qu’on appellerait aujourd’hui le métissage culturel.
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