dimanche 29 mai 2016

Sortie à Paris, 28 mai — Apollinaire & Roméo et Juliette

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Ah, pour une belle sortie, ce fut une belle sortie ! Belle unanimité des trente budistes, qui prirent, un samedi de mai, un car Dunois à deux étages panoramiques pour rejoindre la capitale. Au programme :  Apollinaire, le regard du poète, au musée de l’Orangerie et Roméo et Juliette, du grand Will, à la Comédie-Française.

Au milieu de touristes affairés, notre car déposa, place de la Concorde, les excursionnistes orléanais assoiffés de culture. Le programme alléchant, nous conduisit d'abord vers Guillaume Apollinaire, un regard critique sur le monde artistique de son temps (1902-18). Flânerie instructive jalonnée de pauses méditatives. L'œil et le flair d'un homme pourvu d'antennes branchées sur les ondes de son temps. Yveline COUF avait préparé les âmes sensibles à ces bouleversements esthétiques à travers un texte que vous pouvez lire en cliquant sur ce lien.


Ensuite le groupe se dispersa. Une belle promenade permit de traverser le jardin des Tuileries, ensoleillé, que touristes et Parisiens avaient envahi, qui marchant, qui bronzant, qui mangeant, avant de rejoindre la place Colette. Puis le groupe se dispersa. Une brève halte-déjeuner nous permit de reprendre des forces avant de prendre place au fond des fauteuils rouges de la maison de Molière. Nicole LAVAL-TURPIN nous avait proposé un texte présentant Shakespeare, un jour à Vérone en compagnie de Roméo et de Juliette, il est par ici. Inutile de préciser que les textes lus par les deux oratrices reçurent une pluie d'éloges fleuris. La pièce dura trois heures et s'acheva sous les vivats, en chorale enthousiaste de la part des lycéens venus nombreux. Mi-rossignols, mi-alouettes, ils en redemandaient : "une autre ! une autre…" Tous devenus amants d'une nuit d'amour et de mort à Vérone qu'ils ressuscitaient dans leur joyeux babil.

La mélancolie se dissipa, le car reprit, sous l'orage, la direction d'Orléans…
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Vous pouvez retrouver Guillaume Apollinaire : l'homme et le critique d'art furent abondamment célébrés sur France Culture. Les liens ci-dessus vous permettent de l'écouter sur votre ordinateur (n'oubliez pas de pousser le son), voici celles qui nous ont le plus intéressés : 

Dans l'émission La Compagnie des auteurs, quatre émissions du mois d'avril dernier, ont traité de G. Apollinaire :
Marie-Hélène et Claude Viviani
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dimanche 22 mai 2016

Regard sur la Grande Guerre : Femmes de Lettres sur le front intérieur


Ce mardi soir du 19 avril 2016, Nicole Laval-Turpin, vice-présidente de notre association, nous a entretenus d’un sujet important rarement abordé : le rôle qu’ont joué les Femmes de Lettres sur le front intérieur, pendant la Grande Guerre. Elle choisit de traiter cette étude selon différents axes clairement désignés. Cette heure d’écoute sera rythmée de lectures choisies que notre conférencière mêlera adroitement à son exposé, plongeant son auditoire dans des instants précieux d’émotion partagée.

D’abord, elle évoque les hommes partis au front sur l’injonction de mobilisation générale, en présentant les témoignages écrits de « célèbres poilus ». Saisis, nous revivons  l’horreur de ces quatre années d’oblation à la mère patrie et de souffrances insoutenables. On peut décliner les noms de ces auteurs ancrés dans nos mémoires : Henri Barbusse, Roland Dorgelès, Maurice Genevoix, Blaise Cendrars, Apollinaire, ceux  qui survécurent à l’enfer des tranchées. Quant à Charles Péguy, Louis Pergaud, Alain- Fournier, ils furent fauchés, dès septembre 1914, en compagnie de milliers de soldats sacrifiés. L’hécatombe de ce début de guerre provoqua l’effroi général et le questionnement. Comment survivre, comment garder espoir, comment écrire encore ? 



C’est au sort des femmes que s’attache alors notre conférencière. Toutes ces esseulées qui tentèrent de rester debout en inventant des formes de survie. Ce fut leur forme d’engagement. Tandis que les unes soutenaient l’économie en assurant l’effort de guerre, d’autres prirent la plume dans le même dessein. Parmi les premières, citons les poétesses. Cette génération, contemporaine de la défaite de 1870, fut nourrie à l’idée de juste vengeance réclamée par Maurice Barrès qui sommait les poètes d’être de fidèles miroirs des évènements patriotiques. Plus pragmatiques qu’on ne le croit, ces femmes de lettres vont d’abord courir à l’urgence, oublier leurs atours de bourgeoises protégées. et de muses lointaines. Les voilà dans la rue, à l’hôpital, au front, partout où l’on souffre et meurt, soudain devenues femmes de proximité. La Comtesse Anna de Noailles s’occupe de soupes populaires. Marie-Noël s’enrôle à l’hôpital d’Auxerre tout comme Lucie Delarue-Mardrus à Honfleur. Colette veille comme garde de nuit au lycée Janson de Sailly, nouvel asile ouvert aux blessés de la guerre, les « gueules cassées ».


Les Annales critiques et littéraires font paraître les écrits de femmes empreints de sensibilité, sous le titre « Bouquet de souvenirs offert aux soldats de France ». En témoigne un poème d’Hélène Picard qui évoque un soldat soucieux d’écrire à sa marraine de guerre « sœur grave du soldat ». Ainsi nomma-t-on ces femmes que la compassion poussait à correspondre avec des hommes sans soutien affectif, voués au sort le plus terrible. Leur action bénéfique laisse une empreinte sensible dans notre mémoire collective. Quant aux beaux discours hypocrites, aux hymnes cocardiers brandis pour masquer la réalité du conflit meurtrier, ils déclenchèrent des protestations indignées chez les femmes lucides.
Henriette Sauret par exemple dénonça avec force le nationalisme fanatique de certains écrivains que la guerre exaltait – Henry Bataille avait osé écrire à destination des mères « Tous vos enfants étaient aussi beaux que Jésus » ! Dès l’armistice, parurent des récits féminins réalistes dont les noms sont tombés dans l’oubli car les auteurs masculins misogynes y voyaient une vague concurrente. Ainsi Annie de Pène, chroniqueuse de guerre, dépeint crument ce qu’on veut alors occulter, l’horreur abominable des tranchées. Elle consacre à l’évolution sociale des articles documentés qui pointent les nouveaux métiers qu’endossent les femmes de l’arrière : des couturières deviennent obusières, d’autres charbonnières et même receveuses de tramway ; elle nous montre les Françaises à la tâche, habiles et courageuses. Son œuvre de qualité n’a pas survécu à sa mort, injustement. Seule son amitié avec Colette fait que nous la connaissons encore.

Séverine fut une autre grande figure du journalisme. Employée au Cri du peuple, journal du socialiste Jules Vallès, celle-ci dénonce «  L’union sacrée » et commente le livre d’Henri Barbusse - Le Feu - prix Goncourt 1916 : roman dénonciateur des horreurs par les soldats « chair à canon ». Même combat chez Hélène Brion, enseignante déchue, condamnée à trois ans de prison pour propagande défaitiste.


Quant à Rachilde, surnommée la patronne du Mercure de France, l’une des créatrices du Prix Femina, elle tenait salon pour le Tout Paris. Quand éclata la guerre, elle ferma ce lieu des mondanités éditoriales par solidarité. Sa voix se fit entendre pour dénoncer la politique de Guillaume II de Prusse et demander sa tête ! Intellectuelle patriote, elle prit part à certaines réunions pacifistes chez Natalie Barney où sa parole de « tricoteuse » faisait mouche à toute volée. Autre militante notoire, Juliette Adam, romancière à succès qui s’impliqua à fond en présidant le mouvement « Croisade des Femmes françaises ». Clémenceau sut l’honorer lors de la signature du traité de paix, à Versailles, en 1919.


Colette reste bien sûr la plus célèbre de ces femmes de lettres, témoins actifs de ces années terribles. Elle a 41 ans quand éclate le conflit. Femme libre, elle est devenue l’épouse passionnée du journaliste Henry de Jouvenel, envoyé sur le front au début des hostilités. Elle le rejoindra parfois, près de Verdun, côtoiera d’intrépides infirmières dont elle parlera, devenant ainsi reporter de guerre, jusqu’en Italie. Pour témoigner de ces temps de malheur, la prosatrice fournit des articles éloquents pour plusieurs journaux (Le Matin, La Vie parisienne). Pas d’analyses politiques de sa part mais l’art de voir juste au cœur de l’instant saisi avec vivacité. Colette patriote ne donne pas dans le ton mélodramatique. Parler de guerre c’est pour elle, jeter un défi où se joue la dignité humaine. Son article « Mamans », paru dans La Baïonnette en avril 1916, met en lumière des mères aussi militantes que brûlantes d’amour pour leurs fils- soldats. Écouter la lecture d’extraits de ses romans, de ses papiers, de sa correspondance, c’est comprendre Colette au plus vif de sa plume, l’œil et l’oreille en éveil. Elle croque des silhouettes de femmes inédites, convoyeuses, capitaines de gendarmerie, officières. Elle évoque les opportunistes, ces débrouillardes sans tabous, baptisées d’un vocable spontané « les Inquiétées ». Colette perçoit aussi le décalage qui creuse l’incompréhension entre les couples séparés. La Fin de Chéri, paru en 1926, met en scène un héros revenu de l’enfer que son épouse ne saura pas sauver du suicide. Quant aux « métrottes » nouvelles usagères du métropolitain, Colette les saisit avec réalisme et finesse. Ni suffragette, ni féministe, ses antennes de sensitive ont su capter l’air de ce temps de guerre. Pour ses lecteurs, ce qu’écrit alors la fille chérie de Sido, prend force de constat, de dénonciation en toute lucidité, sans discours politiques démonstratifs.


Nicole Laval-Turpin
Au cœur du pire, en 1916, Colette peint un monde animal qu’elle affectionne. Dans La Paix chez les bêtes, elle fait ce vœu : « j’ai rassemblé des bêtes dans ce livre, comme dans  un enclos où je veux qu’il n’y ait plus de guerre ». Qu’il n’y ait plus de guerre… telle fut l’inlassable prière des femmes, quatre années durant. La romancière salue ainsi  le quotidien combatif des femmes de l’arrière que le XXe siècle allait propulser en avant.