mercredi 24 mai 2017

Les Budistes orléanais au pays de Colette

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Plus de 50 ans après leur première visite en Puisaye (1963), 40 ans après leur deuxième visite (1977), les Budistes orléanais se sont retrouvés, le samedi 20 juin 2017, en pèlerinage « au pays de Colette ».

Pourtant Colette, dans Les Vrilles de la vigne, avait averti ses lecteurs : aller dans son pays natal, c’est risquer de détruire le mythe qu’elle avait créé par la magie de l’écriture ; elle les avait prévenus que ce n’est pas dans la Puisaye, cette « campagne un peu triste qu’assombrissent les forêts », ni dans le « village paisible et pauvre » de Saint-Sauveur qu’on peut reconnaître le « pays de merveilles » dont elle parle dans ses œuvres. C’est d’ailleurs pourquoi elle-même, devenue adulte et célèbre, a toujours évité de revenir y « confronter son rêve exact avec une réalité infidèle ».

Bravant toutefois cette mise en garde, nous sommes donc partis à la recherche « de la trace du pays disparu », en quête « des fragments du royaume, dispersés, éparpillés, faisant néanmoins deviner, par reflets et scintillements, ce que cela avait dû être autrefois » (ces mots sont du romancier Fabrice Humbert dans son Eden Utopie).

Pour nous accompagner dans cette plongée « au pays de Colette », nous avons eu trois intercesseurs : Gérard Lauvergeon qui nous a présenté, avec son regard de géographe, la Puisaye d’hier et d’aujourd’hui, et, tout au long de la journée, Samia Bordji, directrice du Centre d’études Colette, assistée, dans la visite de la maison de l’ancienne rue de l’Hospice, par son collègue Frédéric Maget.

La découverte, au cours de la journée, s’est faite dans un beau désordre chronologique.

1- Dans les rues de Châtillon-Coligny, ont été évoquées les sombres années de la famille Colette, ces vingt années entre 1890 et 1912 qui vinrent sa ruine, son « exil » près d’Achille installé dans cette petite ville comme médecin, puis la mort du Capitaine qui avait tout raté, puis le suicide de Juliette fille de l’alcoolique Robineau-Duclos, enfin la détresse de « Sido » seule et malade dans sa « petite maison ». On s’arrêta devant les trois demeures qu’avait connues la jeune Gabrielle Colette avant son mariage dans l’église Saint-Pierre et on se regroupa pour faire une sorte de bilan devant la tombe familiale au cimetière.

2- À Mézilles (où l’on se restaura dans le pittoresque Moulin de Corneil), on découvrit, passant non loin de la ferme de la Guillemette, que les liens de Colette avec la Puisaye n’étaient que le résultat d’un hasard, le « quarteron » Henry Landoy dit « le Gorille », resté veuf, ayant mis sa petite fille Sidonie en nourrice dans ce village de Puisaye, là où elle devait rencontrer, 22 ans plus tard, Jules Robineau-Duclos, riche mais alcoolique, qui l’épousa et l’installa dans sa belle maison de Saint-Sauveur.

3- À Saint-Sauveur, nous nous sommes arrêtés devant l’église en pensant aux rapports amusants entre Sidonie athée et le curé Millot, qu’elle provoquait en amenant son chien à la messe, mais qu’elle estimait pourtant à cause de leur intérêt commun pour les fleurs.

4- C’est alors que nous avons découvert, tout près, la « maison de Colette », restaurée avec beaucoup de soin, et ses trois jardins récemment replantés, hormis la « glycine centenaire » qui continue à torturer la grille donnant sur la rue des Vignes. On pouvait craindre de n’y trouver qu’une de ces « demeures-musées » que dénonça Julien Gracq dans Le roi Cophetua. D’ailleurs Colette elle-même ne se faisait pas d’illusions, sachant bien que la magie avait quitté ce monde de son enfance et qu’on ne retrouverait jamais plus cette « harmonie d’arbres et d’oiseaux », ni ce « murmure de voix humaines, qu’a suspendu la mort ». Mais le scrupule méticuleux qui a présidé à la reconstitution de la maison et aussi la passion communicative de nos deux guides ont réussi à faire revivre cette demeure telle qu’elle fut lorsque les Colette l’ont habitée, lorsque le Capitaine rêvait de devenir écrivain devant des pages qui restaient inexorablement blanches, lorsque Sido, levée tôt le matin, « explorait » seule toutes les richesses de son jardin, lorsque Leo, tout au fond, érigeait un petit cimetière de tombes en carton, lorsque Minet-Chéri, l’hiver, arpentait les allées, enthousiasmée, « happant la neige volante ».

5- Au château de Saint-Sauveur devenu musée selon le vœu de Colette de Jouvenel, devant une impressionnante collection de photographies, Samia Bordji a pu nous faire parcourir, non sans émotion, toute la vie de la petite poyaudine « passée au rang d’idole et achevant son existence de pantomimes, d’instituts de beauté, de vieilles lesbiennes dans une apothéose de respectabilité » (Jean Cocteau), jusqu’à ses funérailles qui furent grandioses et nationales.

6- Enfin, à la mairie de Saint-Sauveur, on découvrit une salle de classe de la fin du XIXe siècle, reconstituée afin d’aider le visiteur à imaginer l’école disparue où Colette a été élève et qu’elle a brillamment mais méchamment transposée dans son Claudine à l’école, pour se venger des gens de Saint-Sauveur qui n’avaient jamais fait bon accueil à l’épouse et aux enfants de leur percepteur, le Capitaine unijambiste.

Sur la route à l’aller avait été présentée une image un peu démystifiée de Colette (une Colette indifférente en apparence aux deuils dans sa famille, indifférente à la détresse de Sido restée veuve et seule à Châtillon, indifférente au devenir de sa « chère maison » natale) ; puis on avait insisté sur l’aspect autofictionnel des œuvres de Colette qu’on a tendance à lire comme des autobiographies (certes Colette a reconnu en 1937 qu’aucune de ses oeuvres n’était « libre de toute alluvion de souvenir »; mais « tout cela, c’est de la littérature », a-t-elle dit dans un entretien radiophonique de 1950). En complément, sur la route du retour, un texte de Nicole Laval-Turpin (malheureusement empêchée de participer à notre excursion) continua cette démystification de Colette en rappelant que, pour ce magnifique écrivain, l’écriture était une pénible corvée et que celle qui sut composer, à la fin de Mitsou, une lettre d’amour qui fit pleurer Marcel Proust recommandait aux vrais amants de se contenter d’écrire : « Viens vite ! la clef sera accrochée derrière le volet ! »


Ainsi ce retour au pays de Colette a-t-il permis d’entrevoir, derrière ses œuvres admirables, le véritable visage du « plus grand écrivain français naturel » (Montherlant) et surtout de la remercier, par de-là les années, pour « toutes les joies sensuelles qu’elle nous a accordées » (R. Brasillach).

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