samedi 28 janvier 2017

Adélard de Bath



http://www.lesbelleslettres.com/livre/?GCOI=22510100960500
Mardi 10 janvier 2017: les deux invitées sont enseignantes à l'Université d'Orléans. Émilia Ndiaye y est maître de conférences en langues et littérature latines et Christiane Dussourt y est chargée de cours de latin classique et médiéval. Elles ont traduit pour l'ouvrage des Belles Lettres qui vient de paraître (Adelardus Bathoniensis) des textes d'Adélard de Bath et elles se proposent de faire connaître à notre public le personnage et son œuvre sous le titre :

Des études gauloises aux maîtres arabes :
parcours d'un érudit anglo-saxon du XIIe siècle,
ADÉLARD DE BATH

Émilia Ndiaye dit d'abord sa dette à Alain Malissard, son mentor, et à Max Lejbowicz, récemment décédé, maître d'œuvre de l'entreprise.


Et nous sommes emportés sur les traces de celui que les Anglais considèrent comme le premier scientifique de leur histoire, en ces temps particuliers de la transition entre le premier et second Moyen-Age (XI-XIIe siècle). Des cartes montrent les itinéraires de ce moine bénédictin, né à Wells dans le Somerset vers 1080. Particulièrement attiré par les territoires dominés par les Normands (Normandie, Sicile, principauté d'Antioche), il séjourne aussi à Tours et à Laon, en Espagne, emprunte la via Francigena pour atteindre Rome, parvient à Constantinople, peut-être à Tarse et Jérusalem. Ses trajets sont parfois sujets à caution, mais il évoque le tremblement de terre de Mamistra, proche d'Antioche, avéré en novembre 1114. Il meurt après 1150. Il aura eu l'occasion de fréquenter les Arabes aussi bien à Tolède qui vient d'être reconquise par les chrétiens, qu'à Palerme, dans cette Sicile multiculturelle ou que dans les États latins issus des Croisades.

En effet, Adélard est un acteur privilégié de la redécouverte et de la grande translation des textes philosophiques et scientifiques grecs vers l'Occident par l'intermédiaire des Arabes, mais aussi de toute l'importance de la science arabe, moment important pour la pensée médiévale. Parmi ses traductions de l'arabe au latin, citons Les Eléments d'Euclide (capital pour la géométrie à l'époque), les Tables astronomiques d'Al-Khwarismi, les Abréviations à l'introduction à l'astrologie d'Abu Mas'har, le Centiloquium du Pseudo-Ptolémée et le Liber prestigiorum Thebidis.

Adélard a aussi écrit deux textes philosophiques importants qui font l'objet de cette édition, le De eodem et diverso (Du même et du différent) et les Questiones naturales. Les conférencières les replacent dans le courant de l'époque, celui de la connaissance nouvelle d'Avicenne à travers du Canon enseigné à la Schola medica Salernitana, d'Averroes, commentateur d'Aristote, de Pierre le Vénérable, abbé de Cluny qui fait traduire le Coran en 1142. De eodem et diverso, adressé à son neveu, relate une vision nocturne de deux figures féminines qui discutent entre elles, Philocosmie, symbolisant l'amour du monde et Philosophie, celui de la sagesse. Chacune de ces allégories est accompagnée de suivantes, cinq pour Philocosmie (Richesse, Plaisirs, Honneurs, Puissance, Renommée), sept pour Philosophie (les sept Arts libéraux, enseignés dans les écoles de haut niveau et dans les monastères et dont elle fait l'éloge). Dans la controverse, alors que Philocosmie reproche aux philosophes de n'être jamais d'accord, Philosophie triomphe en montrant qu'Aristote et Platon se complètent, sont complémentaires. Se prépare là la synthèse chrétienne (la scolastique) du XIIIe siècle qui vise à concilier l'apport de la philosophie grecque notamment aristotélicienne avec la théologie chrétienne des Pères de l’Église et qui sera enseignée dans les Universités du XIIIe siècle.

Quant aux Questiones naturales, elles prennent la forme d'un dialogue entre Adélard et son neveu. Celui-ci pose les questions sur les plantes, les animaux, la nature de l'homme, la terre, les astres et Adélard apporte les réponses, puisées chez les « maîtres arabes »et non plus chez les autorités des « Studia Gallica ». Certaines réponses nous surprennent et nous font sourire comme celle-ci donnée à titre d'exemple par les conférencières : Pourquoi l'homme marche-t-il debout ? Parce que cela éloigne l'âme de la fange ! Et ce qui est nouveau, c'est qu'Adélard, affirmant une démarche moderne, s'en tient à une philosophie naturelle, ne faisant pas appel à la révélation divine, les références à la Bible étant presque inexistantes. Le caractère autonome des lois de la nature y est fortement affirmé dans le cadre d'un Univers créé par un Dieu bon. De même, il fait appel à la raison pour démêler le vrai du faux.

En complément, est donné le Ut testatur Ergaphalau, (comme l'atteste Ergaphalau) savoureux et étonnant, d'un auteur anonyme, qui présente le panorama des savoirs de l'époque et notamment la théorie des humeurs (sang, flegme, bile jaune et bile noire) et des quatre éléments (air, feu, eau, terre). Tout en exalhant la fraîcheur des commencements, cet ouvrage permet de préciser dans quel contexte se situe la démarche intellectuelle d'Adélard.

Merci à Mmes Ndiaye et Dussourt, qui ont mis ces textes à la disposition du public et nous ont appris ainsi toute l'importance de ce moine anglo-saxon au début du XIIe siècle dans l'enrichissement de la culture occidentale par la science arabe et par l'accès à la philosophie grecque retraduite de l'arabe. Séduit par le rôle de la raison dans ce nouveau savoir, Adélard pourrait avoir comme devise « Ce que j'ai appris en arabe, je vais l'écrire en latin ».

jeudi 26 janvier 2017

Les chemins de la création

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Jeudi 8 novembre, l’Association Guillaume-Budé a proposé à ses adhérents une rencontre des plus originales. L’interview de deux artistes orléanais ; Josef Nadj et Arthur Nauziciel. L’un plasticien, chorégraphe, directeur du Centre Centre Chorégraphique National d'Orléans, l’autre comédien et directeur du Centre Dramatique National Orléans/Loiret/Centre-Val de Loire. Tous deux en fin de contrat et en partance sous d’autres cieux. L’entretien fut mené adroitement par Catherine Malissard. L’amitié qu’elle cultive avec ces figures de la scène contemporaine, sa connaissance approfondie de leur œuvre  a permis un échange ouvert et détendu. Une question sur l’enfance et les années d’adolescence nous a permis de comprendre leur parcours. Signe commun à ses interlocuteurs : un éveil précoce à la vie artistique, vécu comme un appel à se réaliser dans ce domaine.

Josef Nadj, Hongrois, natif de Kanidja rappelle que, dès l’école primaire, il fut « enfant prodige », en matière de dessin. Puis ce fut l’université de Budapest encore sous tutelle communiste où il s’ennuie. « Il faut que je parte » sera l’un des leitmotivs de sa vie aventureuse. Bientôt son installation à Paris et sa rencontre heureuse avec le mime Marceau lui ouvrent la voie recherchée. Adepte de la lutte sportive dans son pays, il se consacre à la danse et crée des spectacles novateurs et puissants qui l’ont fait connaître dans le monde entier. Ses influences sont multiples. Attiré par la poésie, la culture orientale et la philosophie, Josef Nadj est un grand lecteur. De tous les textes dont il se nourrit, il crée sur scène des espaces métaphysiques habités par une musique choisie qui donne rythme à des ballets qui exigent des danseurs d’entrer en osmose avec son univers de chorégraphe. Il affirme se nourrir des différentes cultures du monde. Pourtant son travail artistique le montre profondément ancré dans le terreau de son pays natal, la Voïvodine qu’il ressuscite à travers des personnages et des espaces intimes qui l’ont frappé, il explique que chacune de ces spécificités de plasticien, de photographe, sculpteur, dessinateur et chorégraphe exige un engagement total d’où des investissements successifs. Nous en avons un récent exemple avec l’exposition d’une série de beaux Cyanotypes exposés au musée d’Orléans. « Je veux inventer » est l’une de ces phrases typiques de sa géniale personnalité.
À la demande de Catherine concernant son opinion sur la ville d’Orléans après 25 ans de résidence, Josef Nadj évoque ses balades citadines de promeneur solitaire, son intérêt pour l’histoire locale, les cryptes des églises romanes, car il aime les espaces fermés et l’au-delà inconnu. Après ces années de pratique chorégraphique, Josef Nadj prépare un nouveau départ : il veut écrire et mettre en scène une pièce de théâtre sur l’impossibilité de rentrer chez soi. Il nous quitte, mais nous savons heureusement que nous pouvons le retrouver à Paris, confronté à de nouveaux défis artistiques, enrichi par cette expérience orléanaise.  

Arthur Nauzyciel se prêta au jeu de l’interview avec l’aisance d’un comédien chevronné.  Contrairement à ce que vécut J. Nadj, il se reconnaît pur produit de la démocratisation culturelle et rappelle son goût enfantin pour la manipulation des marionnettes.  Il souligne surtout le rôle éducatif du théâtre à l’école, insiste sur sa rencontre avec Antoine Vitez, metteur en scène exigeant qui lui donna le goût des textes contemporains et le poussa sur scène. Devenu acteur, Il arpenta les plateaux de Chaillot, de La Cartoucherie, des Amandiers avant de se consacrer au CDN de notre ville. Il décline ses réflexions sur le processus de création qui l’a mené au travail de mise en scène. Lui non plus n’aime pas les frontières, se sent bien partout, car il s’enrichit humainement du mélange des nationalités et des techniques utilisées sur les scènes du monde. C’est pourquoi il choisit de faire entendre des auteurs étrangers dans leur langue originale. Choix qu’il revendique parce qu’il le voit comme une promesse d‘enrichissement personnel du spectateur. Le public fait de nombreux lycéens, est ainsi poussé à faire l’effort de comprendre l’autre au fil de son idiome national. Il justifie les sous-titres car cela doit interroger le spectateur ! Il voit dans cette démarche, une forme d’engagement, une mission d’intérêt public. Il fréquente beaucoup de metteurs en scène contemporains de toute nationalité, évoque les auteurs, qui l’ont inspiré tant français qu’étrangers : de Shakespeare à Molière, de Strinberg à Tchechov, Thomas Bernhard, récemment une pièce de Fassbinder qu’il a fait jouer en langue slovène. Monde sans frontière qui le mène tous azimuts. À la demande de Catherine touchant au souvenir qu’il gardera de son séjour orléanais, Nauzyciel répond d’emblée « les gens ». Il évoque les relations de sympathie avec son équipe, avec les cercles associatifs, dont le CERCIL et « Les Budé ». Il félicite le public orléanais qu‘il a conquis peu à peu, plein de curiosité, parfois choqué, mais fidèle aux rendez-vous sur les beaux plateaux de scène de la ville johannique. Celle-ci marquera une belle étape dans son parcours exemplaire de metteur en scène imaginatif qui le met aujourd’hui aux commandes du très convoité Théâtre National de Bretagne de Rennes.


Deux hommes, deux fortes personnalités, deux créateurs que nous avons eu le plaisir d’accompagner pendant des années. L’un, Josef Nadj met à jour un univers d’une surprenante beauté née de ses songes, l’autre, Arthur Nauzyciel, fidèle gardien du temple voué à la scène, nous aide à comprendre le monde dans lequel nous vivons.

Nous avons vécu ensemble une belle aventure.